Environnement : les quartiers dans les choux ?
Le développement de micro-initiatives autour de l’agriculture bio et partagée est croissant dans les quartiers populaires, souvent touchés par des politiques industrielles non maîtrisées. Mais cette approche concrète ne suffit pas à épuiser le débat où la question des inégalités sociales demeure centrale.
Mack est fondateur de l’association Tous les mêmes, implantée aux Izards à Toulouse. Il se souvient bien de ce qui l’a conduit à promouvoir les jardins bio dans le quartier : “J’avais rapporté des tomates de Leader Price et une semaine après je les ai retrouvées moisies dans le frigo. En me renseignant un peu sur le Net, j’ai vu que beaucoup de produits chimiques étaient utilisés pour le traitement des fruits et légumes. Je me suis dit que ce n’était pas possible de se nourrir avec ça, et qu’il fallait donner un autre exemple dans le quartier…”
Depuis, l’association permet à ceux qui le souhaitent de cultiver son lopin de terre. A condition que le jardinage soit “bio, sans produits chimiques”. Très loin d’un repli hygiéniste individuel, la pratique se veut ouverte et généreuse. “On organise des repas, on partage les denrées produites avec les familles du quartier, avec les Syriens par exemple qui sont longtemps restés ici”, explique Mack. L’initiative n’est pas isolée : mettant à mal l’idée selon laquelle seuls les “bobos” se soucient d’environnement et d’écologie, les habitants des quartiers populaires s’emparent de ces enjeux depuis déjà quelques années.
A Marseille, depuis juin 2015, les habitants de la cité Font Vert dans les quartiers Nord cultivent des jardins au pied de leurs immeubles. Et reprennent ainsi la main sur une alimentation plus saine, recréant aussi du lien social dans ce quartier appauvri où l’économie parallèle s’est installée.
Au-delà de la malbouffe
Entre 2010 et 2012, l’association Les Amis d’Averroès a porté la Semaine de l’écologie populaire sur le quartier du Grand Mirail, à Toulouse : “On voulait créer une dynamique pour aborder la question des quartiers populaires par l’angle de l’écologie. L’idée était d’organiser des rencontres, de mettre en place quelque chose s’approchant de la recherche-action, en associant les habitants sur le long terme, explique Hedi Bouderbala, chargé à l’époque de ce projet*. On a développé des paniers paysans en circuits courts avec des agriculteurs du département. Dans les quartiers, même si les gens sont dans le dur et confrontés à des difficultés économiques, ils sont conscientisés. Faute de bénévoles, on n’a pas pu aller aussi loin que nous le souhaitions. Mais ces semaines ont rassemblé du monde et on a pu aborder l’enjeu sous différents angles : l’alimentation, la présence d’antennes relais, les nuisances sonores… On a essayé de balayer l’ensemble des thématiques : emploi, santé, loisirs… et de repenser tout le vivre-ensemble au prisme de l’écologie.”
De fait, la seule question de l’alimentation ne suffit pas à épuiser la problématique de l’écologie dans ces quartiers. Au-delà de la “malbouffe” touchant les plus pauvres, les banlieues et les cités sont aussi concernées au premier chef par les conséquences des politiques industrielles non maîtrisées, du dérèglement climatique, etc. “Tout comme il existe des inégalités de classes, de races, de genres, il en existe face à la crise environnementale. Les différentes catégories de la population ne subissent pas de façon égale les conséquences des processus industriels, des pollutions, etc.”, résume Razmig Keucheyan, auteur de l’ouvrage La Nature est un champ de bataille (Zones/La Découverte, 2014).
Victimes du racisme environnemental
Dans cet essai d’écologie politique, le sociologue met notamment en lumière la notion de racisme environnemental, théorisée au début des années 1980 par les organisations afro-américaines ayant fait le constat que les déchets toxiques de l’industrie étaient systématiquement enterrés à proximité des quartiers habités par une population noire. Théorie confirmée en 2005, à la Nouvelle-Orléans avec la gestion politique de l’ouragan Katrina, dont les principales victimes – de la catastrophe naturelle puis de la répression du mouvement d’auto-organisation – furent ces populations. Et illustrée, dans une bien moindre mesure, par le cas d’AZF en France (voir encadré). Mais, alors qu’aux Etats-Unis la lutte contre le racisme environnemental s’enracine en partie dans le mouvement des droits civiques et occupe une place à part entière dans le mouvement social, c’est moins le cas dans l’Hexagone.
Ces dernières années, différentes initiatives ont cependant témoigné d’une prise de conscience grandissante. A Marseille, dans la cité de la Savine, dans les quartiers Nord, en octobre 2014, et, surtout, en 2015, à la Courneuve, au Bourget et à Saint-Denis (93), plusieurs Toxic Tours se sont déroulés. Ces “balades toxiques”, imaginées par un collectif citoyen de Seine-Saint-Denis sous forme de “visites guidées des principaux lieux de pollution de l’environnement et de dérèglement climatique dans le département”, appellent “à des initiatives réparatrices de nettoyage, de fermeture de sites, de soin des populations et de l’environnement, de rassemblement autour d’alternatives existantes ou gagnables”. Des mobilisations mêlant autoformation et activisme politique : une voie pour les luttes écologiques à venir dans les quartiers populaires.
AZF ET LA FRAGMENTATION SOCIOSPATIALE
Au terme d’un troisième procès, qui s’est achevé en mai, la cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 31 octobre pour établir les responsabilités qui ont conduit à l’explosion d’un hangar d’une filiale de Total, le 21 septembre 2001, à Toulouse. Le directeur de l'usine Serge Biechlin, est condamné à quinze mois de prison avec sursis, et à 10 000 euros d’amende. La société Grande Paroisse, s’est vu ingliger l’amende maximale, de 225 000 euros. D'un point de vue humain, le bilan est lourd : 31 morts et plus de 2 500 blessés. Les quartiers populaires toulousains constituent une facette souvent négligée de ce drame. Quand, après-guerre, la désindustrialisation du pays coïncide avec l’urbanisation des périphéries, le site, à l’écart du centre, se révèle idéal pour bâtir du logement social, ayant notamment vocation à accueillir les migrants des Trente Glorieuses. Résultat, en septembre 2001, ce sont les quartiers populaires du Mirail et d’Empalot qui ont été les plus touchés par l’explosion. Comme le souligne le ministère de l’Ecologie, l’explosion d’AZF a aussi mis en lumière “la carence d’intervention immédiate des pouvoirs publics dans les quartiers sinistrés” et “la fragmentation sociospatiale de l’aire métropolitaine toulousaine”.
MAGAZINE SEPTEMBRE 2017