Palestine et Syrie, deux tragédies

 Palestine et Syrie, deux tragédies


Une sélection de bandes dessinées qui interroge notre monde. Et en particulier le Moyen-Orient.


Gâchis dessiné


Nous découvrions Adeline Rosenstein en mars 2016 (lire le Courrier n°102) au théâtre avec sa trilogie Décris-Ravage, conférence subtilement ironique et digressive, où elle raconte avec trois interprètes les relations entre Palestine et Occident depuis 1799. Cela sans une seule image, grâce à un vocabulaire gestuel complexe fait de danse et de mime. Avec l’auteur suisse Alex Baladi, la metteure en scène parvient à adapter en bande dessinée sa propre pièce sans perdre cette précieuse distance. Dans le premier épisode d’une série qui en comptera six, l’ingénieux langage visuel imaginé par le dessinateur dit la rencontre désastreuse de Napoléon Bonaparte avec l’Egypte et la Syrie. “Un gros gâchis sur trois ans. 1798-1801.” Si un empereur aux traits enfantins apparaît ici ou là, Alex Baladi illustre aussi peu que possible les violences. Naïfs, souvent en décalage avec le texte, ses motifs en noir et blanc laissent au lecteur une grande liberté d’interprétation et d’appropriation d’une histoire dont on ne connaît souvent que les contours. Par Anaïs Héluin


Titre du livre: Décris-Ravage


Premier épisode, Adeline Rosenstein & Baladi, éditions Atrabile, 72 p., 15 €.


Comprendre la tragédie syrienne


Avec Freedom Hospital, le Syrien Hamid Sulaiman, aujourd’hui exilé en France, signe sa première bande dessinée. Dans ce récit parsemé d’épisodes vécus par l’auteur, il dépeint le quotidien d’un hôpital clandestin qui accueille les rebelles dans une ville qui n’est jamais nommée. Caché dans une vieille maison arabe traditionnelle, ce Freedom Hospital est dirigé par une jeune femme, Yasmine, une militante pacifiste. Désireuse de montrer le conflit dans sa complexité et loin de l’analyse binaire des médias occidentaux, elle accueille Sophie, une journaliste franco-syrienne entrée clandestinement en Syrie. Une sorte d’hommage à tous ces journalistes infiltrés au péril de leur vie, comme Manon Loizeau (qui a couvert la révolte de 2011) ou Edith Bouvier (blessée à Homs en 2012). Hamid Sulaiman a choisi un parti pris très graphique, chaque nouvelle scène est introduite de façon identique : un plan large pour montrer où l’on se trouve, puis il zoome et retire le décor. Ce style épuré donne ainsi la priorité aux personnages et plus particulièrement à leurs expressions. Le sentiment de désolation est accentué par les contrastes de noir et blanc. Un décompte macabre apparaît régulièrement en haut de la planche. Les jours ne comptent plus en heures mais en nombres de victimes. Une bande-dessinée pour tous ceux qui veulent comprendre le conflit syrien au-delà des poncifs. Par Nadia Hathroubi-Safsaf.


Titre du livre : Freedom Hospital


Hamid Sulaiman. Ca & Là/Arte Editions. 288 p., 23 €.


 


MAGAZINE FEVRIER 2017