Asma Lamrabet : « L’héritage m’a tuer »
Asma Lamrabet a-t-elle pêché ? Et si oui, par quoi a-t-elle pêché ? L’icône des musulmans modernistes a été contrainte de rendre le tablier de la Rabita Mohammadia des Oulémas, à cause de ses positions en faveur d'une révision des dispositions en matière d'héritage.
Alors qu’elle est portée aux nues par les milieux intellectuels (y compris ceux qui se réclament d’une laïcité pure et dure) la charmante dame, à l’éternel sourire, a tout de suite fait l'objet d'un lynchage sans précédent de la part des milieux intégristes.
Des figures connues de la scène salafiste sont montées au front pour l’attaquer sur les réseaux sociaux. Cheikh Hassan Kettani, ancien détenu salafiste a même poussé la délicatesse jusqu’à se réjouir sur sa page Facebook de la démission de cette "ignorante". On passera sur les insultes et commentaires méprisants des disciples à l’égard de l'auteur de «Aicha, épouse du Prophète ou l'Islam au féminin».
Pourquoi tant de haine ? On ne reviendra pas sur les motivations profondes des intégristes. Le salafisme, c’est connu, joue de la peur, de la violence, de la destruction de l'autre qui est détesté pour sa différence, ce qu'il est, dans ses pensées, sa totalité et sans aucune nuance. Cet autre qu'il va falloir évincer, contraindre et même peut-être supprimer, s’il porte en lui le stigmate de la différence.
La chercheuse Asma Lamrabet a démissionné pour avoir prôné une opinion iconoclaste sur la question de l’héritage. Un parti pris qui fait suite à une pétition appelant à mettre fin à la discrimination des femmes en matière d'héritage signée par une centaine d’intellectuels marocains.
Si à titre personnel, je ne peux qu’être d’accord avec les signataires qui appellent à l'abrogation de la règle successorale "injuste" du "ta'sib", qui pénalise les femmes, la démarche n’a pas mon approbation.
Au Maroc, le conflit ouvert entre une poignée d’intellectuels, de modernistes en avance sur leur temps et la majorité des Marocains, plutôt conservateurs fait trop de dégâts. Trop pressée d’imposer sa vision de la société, jugée meilleure, l’élite va toujours très vite en besogne. Résultat, des lois, des textes trop en avance sur la société.
Exemple, si les textes de lois qui défendent les droits des femmes sont calqués sur ceux des pays occidentaux, la femme n’a jamais été aussi écrasée. On place ainsi toujours la charrue avant les bœufs.
Concernant les textes religieux, la démarche est encore plus périlleuse : pour ce qui est de l’héritage, la femme n'a en effet droit qu'à la moitié de ce qu'hérite l'homme, le reste devant aller à des parents masculins du ou de la défunte. Mais les Marocains n’ont pas attendu les signataires de la pétition pour trouver mille subterfuges pour rendre justice à leurs filles sans le crier sur les toits.
Contrairement à de nombreuses problématiques sociales, le texte coranique sur l'héritage est clair, précis et peu d’oulémas sont prêts à s’attaquer à ce dogme. Bien sûr l’aveuglement des clercs est préoccupant dans la mesure où comme le dit si bien l’Evangile « si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans une fosse » (Mathieu XV, 14).
Mais s’attaquer au dogme de façon aussi frontale apporte de l’eau au moulin de ces intégristes qui présentent toute initiative inédite comme une offensive des incroyants contre l’Islam. Et puis n’est ce pas, ces mêmes modernistes qui rêvent de reléguer le fait religieux dans la sphère privée selon la fameuse formule de Victor Hugo qui pense que « tout va mieux quand l’Etat est maître chez lui et l’Eglise chez elle » ?
Après tout, même le grand Mansour Hallaj, un des plus grands Saints de l’Islam qui a été crucifié pour athéisme pour avoir clamé : « Je suis la Vérité » a été désavoué par ses amis les plus proches à cause du fait que « certaines vérités énoncées publiquement peuvent égarer des personnes nullement préparées à les recevoir ».
Voir aussi :
Asma Lamrabet : "Le harcèlement des femmes transcende les cultures"