Salim Kechiouche, acteur par K.-O.
Il a tout joué ou presque, gueule d’ange, caïd, Rital ou Arabe. Salim Kechiouche, c’est l’acteur caméléon débarqué face caméra un peu par hasard. Un premier rôle dans le prochain Kechiche et on se dit qu’enfin son heure de gloire est arrivée.
Trente-quatre films, six téléfilms, huit séries télévisées et dix pièces de théâtre… on ne peut pas dire que Salim Kechiouche, à l’aube de la quarantaine, soit un débutant. Longtemps abonné aux seconds rôles, il crève l’écran cette année dans Voyoucratie, ou le périple d’un loubard en lutte avec ses démons, et l’érotico-solaire Mektoub, My Love : canto uno, d’Abdellatif Kechiche, dans le rôle d’un Dom Juan lourdingue. Deux registres différents, la dureté du bitume contre l’insouciance d’un été d’ados. Deux captations, la colère d’une âme torturée opposée à celle d’un corps évanescent assoiffé de sexe. Deux univers et pourtant le même combat pour Salim, ancien boxeur professionnel : “Mon message est plus important que ma carrière, mes rôles ne sont jamais choisis par hasard, je refuse les clichés de l’Arabe terroriste, même si ça devait provenir d’Hollywood !” Et on peut dire qu’en la matière, il a plutôt été très à contre-emploi, aussi à l’aise dans les habits de voyou, d’homosexuel, de séducteur ou encore d’immigré. Il assume : “Oui, parfois, mes rôles peuvent paraître impudiques, j’ai un rapport au corps décomplexé et pour autant cela n’engage que moi. Jamais je ne salirai l’image de ceux qui me ressemblent en acceptant la caricature.”
“Vingt ans que j’attends ce coup de projecteur”
Il est vrai que dans le dernier film de Kechiche, qu’il retrouve après avoir tourné dans le sulfureux La Vie d’Adèle, la scène d’ouverture, dans un réalisme assez déroutant, laisse peu de place au suggestif. “C’est très étrange à expliquer, mais quand je me vois sur écran, c’est comme si ce n’était pas moi, j’ai du mal à me reconnaître. Enfin, j’espère ne pas choquer ma famille…” Soucieux du jugement des autres, il est aussi dur avec lui-même lorsqu’il analyse sa carrière : “On peut toujours mieux faire, j’ai quelquefois l’impression d’avoir perdu du temps. Même si je sais que ce métier est dur réellement et qu’il faut des années pour y faire sa place.” Et pourtant Salim n’a pas toujours eu cette ambition…
Né à Lyon, en 1979, de parents algériens, il a grandi dans les quartiers chauds de la banlieue lyonnaise. Malgré son gabarit, il était “sec et nerveux”. Plutôt le type à qui il ne fallait pas chercher des noises. Au point de devenir champion de France de kick-boxing en 1998 et vice-champion de boxe thaïlandaise en 1999 et en 2000. C’est en rencontrant par hasard, à 15 ans, le réalisateur Gaël Morel dans sa MJC de quartier qu’il décroche un premier rôle en 1996 dans A toute vitesse. Repéré par François Ozon, il tourne ensuite Les Amants criminels en 1999. Un tournage décisif, puisqu’il troque ses gants de boxe pour des uppercuts de cinéma. Sa vocation est née, le combat de sa vie aussi. “Les choses se sont faites naturellement pour moi, ça a toujours été le travail avant la notoriété et j’espère que cette fois-ci ça sera la bonne. Ça fait vingt ans que j’attends ce coup de projecteur décisif.” La machine est en route. Salim Kechiouche a déjà commencé l’année avec la sortie de Corps étranger de Raja Amari, aux côtés de Hiam Abbass, dans lequel il joue un clandestin tunisien, puis enchaînera avec la fin de tournage du deuxième volet de Mektoub My Love. Il prédit déjà : “Méfiez-vous des apparences, mon personnage est beaucoup plus ambivalent qu’il n’y paraît… ” A son image en somme…
MAGAZINE MARS 2018