La fête de l’insignifiance
L’écrivain Mabrouck Rachedi évoque l’actualité. Ce mois-ci, l’auteur de “Tous les hommes sont des causes perdues” dénonce les “Trumperies” de l’information.
“Covfefe” : rarement un barbarisme n’aura autant justifié son étymologie que celui inventé sur Twitter par Donald Trump. Le Président américain ne se contente pas de maltraiter les êtres humains par des décrets visant les populations les plus vulnérables, de bousculer la bienséance avec ses manières de voyou pour apparaître en bonne place sur une photo officielle, ou de s’asseoir sur l’environnement, comme en témoigne le retrait américain de l’accord de Paris sur le climat. Il s’est aussi attaqué à la langue lors de l’une de ses éructations sur les réseaux sociaux qui questionnent sa stabilité émotionnelle, voire mentale, sans que quiconque n’ait le pouvoir de contrôler ses foucades d’adolescent en colère, ni même son compte Twitter. Il a fallu six heures pour que le tweet, qui avait déjà fait plusieurs fois le tour de la planète, soit effacé.
La hauteur des talons de Brigitte Macron…
Cette capacité réjouissante qu’ont les réseaux sociaux à signaler, relayer, commenter, parodier, détourner, inventer… se double d’une polarisation sur l’accessoire plus discutable. Le fait anodin est surexposé à une époque où l’on ne manque pourtant pas d’informations signifiantes à traiter. Comme l’a écrit, sur Twitter aussi, la journaliste américaine Dena Takruri, “tout le monde en Amérique connaît le mot absurde ‘covfefe’, mais je parie que personne ne peut nommer une seule victime afghane de l’explosion tragique aujourd’hui”, en référence à l’attentat-suicide de Kaboul, qui a fait 150 morts et plus de 300 blessés le 31 mai.
Cette “fête de l’insignifiance”, expression empruntée au titre d’un roman de Milan Kundera, est loin d’être circonscrite à l’Amérique. Le monde entier s’est également passionné pour les mots, dignes d’un courrier de fan à une rock star, rédigés par Trump à l’issue de sa visite au Mémorial de la Shoah, à Jérusalem, ou encore de son interminable poignée de main avec Emmanuel Macron, commentée comme le combat de boxe Mohamed Ali vs George Foreman… En France aussi, l’exception culturelle confine à l’exemption culturelle quand, par exemple, la longueur de la jupe et la hauteur des talons de Brigitte Macron saturent les fils d’actualité et les trending topics.
Dépêches racoleuses et “fake news”
Il n’est pas question ici de critiquer les réseaux sociaux en tant que tels. A l’instar de la télévision, c’est l’usage qu’on en fait qui laisse à désirer. Notre temps de cerveau disponible est phagocyté par des dépêches aux titres racoleurs, quand ce ne sont pas des “fake news”, parfois relayées par des journalistes eux-mêmes, comme Vanessa Burggraf, chez Laurent Ruquier, à propos de la réforme de l’orthographe prétendument décidée par Najat Vallaud-Belkacem. La hiérarchie de l’information est déterminée en fonction des clics. Des algorithmes décident de ce qui nous plaira à partir de ce qui nous a plu, choisissant à notre place ce qui est censé nous intéresser.
La curiosité, l’analyse, la production d’intelligence ou de réflexion passent à l’as dans cette course à la viralité. Le lecteur, passif, s’enfonce dans une trappe de sous-information, où le besoin de sens s’efface devant l’envie de divertissement. En ces temps où les identités sont sapées par les folies humaines, c’est à nous de reconstituer les espaces et les moments de réflexion qui nous feront grandir, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Toile. Le mois de ramadan a été une occasion particulière d’interroger notre rapport au monde et à ses trop-pleins par la méditation et la privation. Un jeûne de l’information nous permettrait peut-être de remettre en question nos comportements tout au long de l’année.
MAGAZINE JUILLET AOUT 2017