Les massacres de Sétif, l’autre 8 mai 1945
C’était un mardi pas comme les autres. Il y a 73 ans jour pour jour, le 8 mai 1945, tandis que la France et ses alliés célèbrent avec fierté leur liberté marquant la fin du nazisme, d’autres en sont privés. De l’autre côté de la Méditerranée, dans une Algérie française, un rassemblement est organisé à Sétif, une ville du Constantinois, située à 300km à l’est d’Alger. Il sera durement réprimé par le sang.
La manifestation est autorisée sous certaines conditions : les slogans politiques sont proscrits et le drapeau algérien y est interdit ! Le cortège se dirige vers le quartier européen portant des pancartes : « Nous voulons être vos égaux », « Libérez Messali ». Les manifestants réclament la fin du colonialisme, et la libération de Messali Hadj, un leader nationaliste, arrêté quelques semaines plus tôt.
Le rassemblement pacifiste tourne à la tragédie quand Saâl Bouzid, un scout âgé de 22 ans, est assassiné par un commissaire de police parce qu’il arbore un drapeau algérien. Le mouvement de protestation s’étend ensuite dans les villages des alentours, notamment à Guelma et Kherrata. Il va durer jusqu’en septembre 1945.
Pendant plusieurs mois, toutes les forces françaises sont alors déployées : la police, la gendarmerie, l’armée de terre, l’armée de l’air, la marine mais aussi de nombreuses milices composées de civils d’origine européenne. Tous ont pour but de rétablir l’ordre colonial et défendre l’Algérie française.
Des manifestants seront arrêtés, torturés et exécutés sommairement. Le bilan est très lourd : certains historiens parlent de 45.000 morts. Une centaine d'Européens seront également tués.
Mais à l’époque, la France tente de minimiser le nombre de victimes : à peine 1000 morts selon l’ancienne puissance coloniale. Surtout, les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, sont passés sous silence. Ils marquent ainsi les prémices de la guerre d’Algérie, qui démarrera neuf ans plus tard le 1er novembre 1954.
73 ans après les faits, Il faut attendre le 27 février 2005 pour que l’ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière, fasse un premier pas en parlant de "tragédie inexcusable". Son successeur, Bernard Bajolet condamnera à son tour en 2008 ces massacres. Quatre ans plus tard, en 2012, le président François Hollande reconnaitra "les souffrances que la colonisation a infligées", sans pour autant évoquer les horreurs de Sétif.
Pour François Gèze, le directeur des éditions La Découverte, "la question de la reconnaissance de ces massacres est doublement importante. Pour les relations franco-algériennes d’abord, car la reconnaissance par la France des crimes de sa colonisation est une condition au dépassement du passé colonial et à l’établissement de relations apaisées entre les deux pays. Mais elle est importante aussi pour la société française, afin d’en finir avec toutes les mentalités et les comportements hérités de l’époque coloniale".
Avant de conclure : "la reconnaissance de la part d’histoire dont les descendants de l’immigration algérienne sont les héritiers est liée à celle de leur place pleine et entière dans la société française et à la fin des discriminations à leur égard. Elle est indispensable pour que la société française assume, enfin, l’héritage de l’époque coloniale".
Nadir Dendoune