La difficile vie des cafetiers pendant Ramadan
Sa publication sur Facebook a sonné comme un cri du cœur. La police fermait SON café au centre de Tunis. Assise avec ses amis à une table dudit café, Basma* semble désespérée. « Le gérant a annoncé que le café devra rester fermé demain », annonce la jeune fille d’une vingtaine d’années qui explique ne pas faire ramadan depuis quelques années par conviction. Issue d’une famille très conservatrice, elle souhaite cependant garder l’anonymat.
D’ailleurs, sa publication n’était pas publique, mais réservée aux membres du groupe #Fater (#Déjeuneurs en arabe). Un groupe fermé où ceux qui ne font pas le ramadan s’échangent les adresses des quelques établissements ouverts entre deux anecdotes sur leurs expériences de ce mois saint pour les musulmans.
Même souci de l’anonymat pour Hichem*, le patron du café en question. C’est affairé à la machine à café pour servir sa salle bondée qu’il répond à nos questions, un brin désabusé. « En journée, je peux faire jusqu’à 1000 dinars de recette, alors qu’une soirée qui commence à 20h ou 21h ne rapporte qu’une centaine de dinars. Comment suis-je censé couvrir mes charges ? »
Plus tôt dans la journée, le commissaire de police du secteur est venu le convoquer au commissariat. Sur place, il se voit notifier un rappel à la loi. Depuis 1981 en effet, seuls les établissements dits touristiques sont autorisés à lever le rideau en journée. Une règle que Hichem vit comme une injustice.
À 10 kilomètres du centre de Tunis, sur la Côte de Carthage – la Banlieue Nord pour les intimes – Maya* sert ses boissons chaudes et fraîches sans se soucier de la police. Cette banlieue huppée de Tunis n’est pas concernée par les restrictions, et bon nombre de café sont ouverts. Quelques journaux masquent les devantures pour ne pas choquer les jeûneurs.
À l’intérieur, le café ne désemplit pas. « On a beaucoup plus de clients pendant cette période », s’étonne la jeune barista. « C’est bien pour le commerce, mais ça fait mal au cœur », estime celle qui fait ramadan tout en servant ses clients toute la journée. « Quand on jeûne, les journées paraissent très longues quand on sert de la nourriture », ajoute celle qui travaille « parce que le patron le lui a demandé ».
Pour elle, la polémique sur l’ouverture des cafés n’a pas lieu d’être : « ceux qui ne font pas ramadan doivent manger discrètement et avoir de la pudeur, mais sinon chacun est libre de faire ce qu’il veut ».
Cette liberté peut coûter cher, au sens propre. Recontacté quelques jours plus tard, Hichem explique qu’il a réussi à rouvrir son café jusqu’à nouvel ordre. « On a trouvé un arrangement », lâche-t-il sans précision.
*Les prénoms ont été modifiés
Rached Cherif