Irak : Des ruines à la renaissance antique

 Irak : Des ruines à la renaissance antique

The Invisible Ennemy Should Not Exist


L’Institut des cultures d’Islam, à Paris, expose les œuvres d’Irakiens qui ont su réinventer l’art depuis un demi-siècle. La perte de leur patrimoine lors de différentes guerres n’a pas eu raison de leur créativité, nourrie des symboles de l’Antiquité.


L’exposition, placée sous le patronage de l’Unesco, met en scène et en dialogue les travaux d’artistes irakiens de 1950 à nos jours. Selon Morad Montazami, commissaire de “Bagdad mon amour” à l’Institut des cultures d’Islam, à Paris, entre 15 000 et 17 000 objets ont été pillés au musée d’Art moderne de la capitale irakienne en 2003, à la suite de la chute du régime de Saddam Hussein et de l’invasion américano-britannique. Un tiers des pièces auraient été retrouvées grâce aux enquêteurs d’Interpol et aux équipes d’archéologues.


Aussi, cette rétrospective invite à une lecture engagée sur la façon de préserver l’art ou de le réinventer. Les œuvres choisies symbolisent une forme de résistance face à la disparition et la destruction du patrimoine. On ressuscite les symboles de l’Antiquité à travers les étoffes et l’esprit contestataire des mouvements postcoloniaux (l’indépendance de la République d’Irak date de 1958) par les affiches. Même des ruines de sable, les merveilles de Babylone ressurgissent.



Explorer le passé


Dans une pièce, une pluie d’étendards brodés d’une main de Fatma, l’un des symboles de protection les plus anciens au monde, tombe du plafond. Cette œuvre d’Ali Assaf rappelle l’architecture des fenêtres de ­Bassora (au sud de l’Irak), sa ville natale, ravagée par la guerre. Il explore ainsi l’imaginaire du deuil et les ­rituels de lamentation dans la tradition musulmane.


Les affiches de Dia Azzawi, quant à elles, témoignent de l’intense activité culturelle qui régnait à Bagdad dans les années 1960, et évoquent l’importance du ­recours aux arts graphiques durant la période post­coloniale comme outil de propagande. Julien Audebert, de son côté, a reconstruit un fragment de la porte d’Ishtar (l’une des huit entrées de la cité de Babylone) à l’aide de lourds sacs de sable militaires, représentant le Panneau du lion passant, conservé au musée du Louvre.


La suite de l’exposition présente quelques œuvres du couple Jewad et Lorna Selim, figures pionnières de l’art moderne en Irak, et de leurs héritiers. Signe prémonitoire ou non, dans les années 1950, les artistes du Bagdad Modern Art Group travaillaient déjà à la réinvention de leur héritage culturel, en s’inspirant des antiquités ­islamiques, sumériennes et assyriennes. Cette génération “moderniste” avait élu domicile au musée national irakien, inauguré en 1966, et s’est retrouvée aux premières loges pour observer, restaurer des antiquités. En effet, le projet du musée a été lancé en 1923, à la suite de nombreuses découvertes archéologiques réalisées autour de la capitale irakienne.



L’art comme outil de résistance


Le tableau de la mosquée de la ville de Koufa (Al-Kufa) – une ­reproduction réalisée par Lorna (l’œuvre originale de Jewad n’a jamais été retrouvée) – illustre un espace syncrétique dans le style néo-antique. Les artistes actuels comme Ala Younis, Mehdi Moutashar, Walid Siti ou Hanaa Malallah, porteurs de cet héritage architectural, s’inspirent de minarets, dôme, ziggurat, arche dans leurs dessins, sculptures, vidéos ou photographies et créent des œuvres poétiques.


Il y a une soif de bâtir des ponts entre les différentes ­civilisations chez les artistes irakiens, incarnée par le Monument à la liberté (célébrant l’indépendance) de Jewad Selim, qui meurt en 1961, à 41 ans, sans parvenir à l’achever. Photographiée par Latif Al Ani, l’œuvre originale (ci-contre) mesure 50 mètres de long sur 10 mètres de haut et s’inspire des reliefs muraux assyriens.


Autre témoignage du vivier créatif attaché à la mémoire du passé : la reconstitution, en papier mâché, des antiquités perdues qui parsèment le dernier segment de l’exposition. L’artiste irako-américain Michael Rakowitz a recréé des centaines d’œuvres du musée national de Bagdad volées ou détruites pendant la guerre (en 2003). La couche supérieure des statuettes est constituée de papier issu de journaux arabophones.


Une salle est aussi dédiée au Mosul Eye Bureau, une plateforme d’informations en ligne, qui met en avant certains artistes irakiens. Créé par un collectif, il a ­notamment servi à ­informer les organisations internationales, comme l’Unesco, de la situation de la ville sous l’occupation de l’Etat islamique. 



BAGDAD MON AMOUR, jusqu’au 29 juillet à l’Institut des cultures d’Islam, 19, rue Léon, Paris XVIIIe.