Du pétrole dans le cinéma

 Du pétrole dans le cinéma

Abdulhamid Juma (à droite)


La vigueur actuelle du cinéma dans le monde arabe doit beaucoup à l’entrée des nouveaux investisseurs venus des pays du Golfe Persique.


Beaucoup de films produits dans les pays arabes qui arrivent sur nos contrées sont des coproductions européennes. Par le jeu d’accords de distribution, de présentation dans des festivals ou de politique de soutien à l’industrie cinématographique européenne (embauche de techniciens et utilisation d’infrastructures de postproduction), notre perception des cinémas arabes passe donc souvent par ce filtre.


Mais parce que les financements du cinéma sont difficiles dans cette région du monde, de nouveaux acteurs locaux se sont mis à s’y intéresser. Il n’est plus rare aujourd’hui de voir citer sur les génériques des fonds de soutien émanant, étrange paradoxe, de pays sans cinématographie, comme les Emirats arabes unis ou le Qatar. Ou, de façon plus modeste, le Liban, avec l’Afac, un fonds de soutien généraliste de projets artistiques et culturels.


 


Stratégie culturelle globale


Si l’effondrement du cinéma égyptien, qui depuis plus de trente ans n’a pas réussi à retrouver la dynamique qui était la sienne dans le monde arabe dans les années 1950-1970, joue en partie dans cette reconfiguration, il s’agit bien entendu d’une stratégie culturelle globale de la part de ces pays. Doha au Qatar, Abu Dhabi et Dubaï aux Emirats construisent des musées à la pelle et soutiennent la création artistique d’une façon générale. Ces Etats se sont ainsi lancés entre les années 2000 et 2010 dans une politique qui consiste à la fois à monter un festival international de cinéma, des fonds de production, des bourses et des incitations fiscales pour l’installation de tournages sur leurs territoires. Sur la carte du cinéma mondial, Dubaï, s’est ainsi imposé avec son festival, ­devenu l’un des plus prestigieux de la planète et le plus important de la région, proposant notamment un focus remarquable sur le cinéma arabe grâce aux Muhr Awards, une remise de prix spécifiquement dédiée.


Quant à sa grande rivale, Abu Dhabi, elle est en passe de faire de même, notamment avec le fonds Sanad, une aide à la production qui contribue ainsi à l’éclosion de nombreux talents issus des pays arabes et dont la visibilité est croissante sur les marchés internationaux. Dans cette logique d’essaimage, l’ancien directeur du Sanad, Intishal Al-Timimi, vient d’annoncer le lancement d’un grand festival du cinéma arabe en Egypte, à El Gouna, pour le mois de septembre.


 


Softpower panarabe


Toutefois, l’ambition de ces nouveaux entrants se heurte parfois à une méconnaissance du secteur et à un manque de vision caractérisée. Le Doha Film Institute, qui participe au montage financier de plusieurs dizaines de films par an, avec des montants qui peuvent aller de 20 à 50 % du coût total de production (pour la plupart issus d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient), a ainsi sérieusement réduit la voilure à la suite d’investissements hasardeux, comme la coproduction avec le magnat tunisien Tarak Ben Ammar du pathétique Or Noir de Jean-Jacques Annaud et la conclusion d’un accord faramineux avec une société de production américaine. A force de ne chercher qu’un prestige de marque, la politique erratique du Doha Film Institute a déçu les attentes, mais constitue de fait le contre-exemple parfait à la réussite actuelle des autres impétrants. Alors, effet d’aubaine ou véritable intérêt pour le septième art ? Si la question mérite d’être posée, la réponse semble pour le moment de basculer vers la construction d’un softpower panarabe qui, depuis Nasser, reste une chimère toujours aussi difficile à réaliser.