Le contrôle de l’information, une guerre incertaine

 Le contrôle de l’information, une guerre incertaine

Locaux d’I24News


Israël mène sans relâche sa bataille de communication à l’échelle internationale. Mais malgré les efforts déployés, son image se dégrade. Sans que l’exécutif, focalisé sur une campagne de boycott, ne semble remettre sa stratégie en question 


Qu’ont en commun l’Unicef, le consulat général de France à Jérusalem, le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), la Cimade (Comité intermouvements auprès des évacués), l’Agence française du développement (AFD) ou la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine ? D’être toutes dans l’œil du viseur de NGO Monitor, une “ONG” israélienne fondée en 2002 pour “produire et diffuser des analyses critiques et des rapports sur les activités des réseaux d’ONG locales et internationales” dans “le contexte du conflit arabo-israélien”. Pour NGO Monitor, ces institutions sont coupables de financer, soutenir ou dialoguer avec des organisations, au choix, “anti-israéliennes”, “leaders des campagnes de boycott”, “palestiniennes radicales”, “en lien avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP)”, etc. Dotée d’un site web soigné où les contenus sont disponibles en hébreu, en anglais et en français, NGO Monitor est pilotée par une vingtaine d’individus, dont certains sont en Europe, d’autres en Amérique du Nord. Des petits soldats du dispositif de contre-information déployé par Israël.


 


Désinformation, mensonge, terrorisme…


Dans le champ médiatique, on trouve aussi Info équitable, un site effectuant “une veille systématique du traitement d’Israël dans les médias francophones”. La chaîne i24News, où interviennent parfois des “chercheurs” de NGO Monitor, est le fleuron de cet ensemble comprenant de nombreuses autres officines. Autant de médias dans lesquels la “désinformation”, et le “mensonge”, mais aussi le “terrorisme” et la “radicalisation des droits de l’homme” sont des thèmes récurrents, vus comme s’ils n’existaient qu’au détriment d’Israël.


Ce combat de l’information et de l’image n’est pas nouveau (1). Les Israéliens ont commencé à le mener avant même la naissance de leur Etat, dans le cadre d’une stratégie inscrite dans l’ADN du projet sioniste, la “hasbara” (en hébreu “explications”, “éclaircissements”), visant à valoriser et à défendre coûte que coûte l’image du pays à l’étranger (lire notre entretien avec Eyal Sivan).


Beaucoup d’efforts déployés pour un résultat décevant : depuis une vingtaine d’années, l’image du pays se dégrade dans les opinions publiques occidentales. Au mois de mai dernier, un sondage réalisé par l’Ifop pour l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) a été rendu public au moment même où l’armée israélienne réprimait dans le sang la marche du grand retour à Gaza. Ce sondage livre des résultats sans ambiguïté : 71 % des Français interrogés estiment qu’“Israël porte une lourde responsabilité dans l’absence de négociation avec les Palestiniens” et 69 % jugent que “le sionisme est une idéologie qui sert à justifier sa politique d’occupation et de colonisation des territoires palestiniens”.


 


“C’est parce qu’ils sont inquiets”


“Les Israéliens sentent que l’image du pays s’écroule, et ils veulent contrer cela”, estime Pierre Stambul, militant de l’Union juive française pour la paix (UJFP) et auteur du récent ouvrage La Nakba ne sera jamais légitime (2). “Et c’est bien parce qu’ils sont inquiets qu’ils mettent en place toutes ces officines, ces contre-médias, ces dispositifs, ce lobbying…” L’UJFP en sait quelque chose : subventionnée par le commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), institution gouvernementale française, pour l’édition d’un livre, puis de clips intitulés Une parole juive contre le racisme, l’association a été la cible de diverses attaques. L’hiver dernier par exemple, le magazine Causeur, titrait “L’UJFP, l’antisionisme subventionné par l’Etat”, reprenant des accusations de… NGO Monitor.


Plus récemment, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (désormais dirigée par Frédéric Potier après l’avoir été par Gilles Clavreul, proche de Manuel Valls et cofondateur du Printemps républicain) a fait interdire, à la dernière minute, la venue d’un conférencier de l’UJFP dans deux lycées d’Aurillac à l’occasion d’une quinzaine contre le racisme.


 


Un boycott commercial, culturel et sportif


En Israël, l’attention se porte depuis plusieurs années sur la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), engagée par les Palestiniens, qui consiste à boycotter non seulement les produits israéliens, mais aussi à pratiquer un boycott sportif, culturel et universitaire. Le 28 mars 2016, à Jérusalem, s’est tenue une conférence organisée par le quotidien de droite Yediot Aharonot, en présence notamment du président israélien Reuven Rivlin, où il a été décidé que cette campagne internationale de boycott constituait une menace appelant une riposte majeure : pour ce faire, plusieurs dizaines de millions de dollars ont été débloqués. Et début janvier 2018, Tel Aviv a refusé à une vingtaine d’organisations liées au mouvement BDS le droit de pénétrer sur son territoire.


“Cette campagne fait mal aux dirigeants israéliens, même s’ils tentent de faire croire qu’ils la tiennent pour négligeable, confirme Michel Warschawski, militant anticolonial, journaliste et auteur israélien (3). En juin, le ministère des Sports et de la Culture a mis l’annulation du match de football contre l’Argentine au crédit de BDS et des gauchistes !”


Selon lui, dans cette bataille de l’information et de l’image, “les millions de shekels” mis dans la balance, tout comme les “mensonges” du gouvernement et le recours systématique au “discours victimaire” ne suffiront cependant bientôt plus. “Le fait de vivre sur le sentiment de culpabilité européen va finir pas s’épuiser, c’est mécanique, on est à la troisième génération après le génocide. Et surtout, une tendance claire se dessine : c’est l’évolution de la nouvelle génération de juifs américains. Une partie a de moins en moins de réticence à exprimer ses critiques envers la politique israélienne et une autre partie y est, elle, de plus en plus indifférente.” Pour Michel Warschawski, “les faits sont là : dans une génération, Israël n’aura plus ce soutien sans faille des communautés juives organisées.”


 


(1) : Lire La guerre israélienne de l’information, de Joss Dray et Denis Sieffert, éd. La découverte (septembre 2002), 127 p., 8 €.


(2) : La Nakba ne sera jamais légitime, de Pierre Stambul, éd. Acratie (mai 2018), 185 p., 14 €.


 


(3) : Fondateur de l’Alternative Information Center (AIC), Michel Warschawski est l’auteur de nombreux ouvrages. Dont Un autre Israël est possible, coécrit avec le journaliste Dominique Vidal, éd. de l’Atelier (mars 2012), 176 p., 9,99 €.