Guerre d’Algérie : Macron reconnaît la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin, torturé par l’armée française

 Guerre d’Algérie : Macron reconnaît la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin, torturé par l’armée française

Guerre d’Algérie – Première page du journal ‘France Nouvelle’ (Journal hebdomadaire du Parti communiste français : Numéro spécial sur la mort de Maurice Audin paru le 2 décembre 1959. A droite : Une photo non datée de Maurice Audin


"Le président de la République a (…) décidé qu’il était temps que la Nation accomplisse un travail de vérité sur ce sujet, va annoncer l’Elysée dans un texte qui doit être dévoilé jeudi 13 septembre. Il reconnaît, au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile". 

 


Le geste était attendu depuis soixante et un ans par la famille de Maurice Audin. Le 18 juin 2014, François Hollande avait fait un premier pas en reconnaissant que Maurice Audin ne s’était pas évadé, contrairement à la version officielle, et était mort en détention. Le président socialiste n’avait toutefois pas voulu aller plus loin. Quant à Nicolas Sarkozy, il n’avait pas même répondu à la lettre que Josette Audin, la veuve de l’universitaire, aujourd’hui âgée de 87 ans, lui avait adressé à l’Elysée.


Retour sur les faits. Le 11 juin 1957, la bataille d’Alger oppose les parachutistes français aux indépendantistes algériens du FLN. Alors que Maurice Audin, 25 ans, est à son domicile algérois avec son épouse et leurs trois enfants, des parachutistes français font irruption chez eux et procèdent à son arrestation. Le mathématicien, militant communiste anticolonialiste, est soupçonné d’héberger des membres de la cellule armée du Parti communiste algérien.


Retenu dans une villa du quartier d’El Biar, il est alors torturé, comme en témoignera plus tard Henri Alleg, directeur de journal, aux mains des militaires en même temps que lui. Alleg sera le dernier à voir vu Audin vivant. Il écrira un ouvrage autobiographique sur la torture en 1958 (La question). Plusieurs jours après l'arrestation, des militaires informent Josette Audin de la prétendue évasion de son mari lors d’un transfert. C'est la version officielle que tiendra l'Etat français jusqu'en 2014. L'épouse porte plainte contre X pour homicide le 4 juillet 1957.


En 1958 est publiée une enquête de l'historien Pierre Vidal-Naquet (L'affaire Audin) qui démontre qu'il y a pas eu d'évasion : Maurice Audin est mort alors qu'il était aux mains des parachutistes. Son corps n'a jamais été retrouvé. L'acte de décès de Maurice Audin sera établi en 1963, un an après qu'un non-lieu a été prononcé.


Emmanuel Macron a décidé de ne pas s’arrêter au cas Audin. Pour la première fois, le président va reconnaître également officiellement que l’Etat a failli en permettant le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie. "Si la mort [de Maurice Audin] est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement institué : le système “arrestation-détention”, mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par voie légale aux forces armées à cette période", explique l’Elysée. 


En 1956, le Parlement français avait voté une loi donnant carte blanche au gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle avait permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, lequel décret avait été mis en œuvre en 1957 par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie. C’est ce "système légalement institué qui a favorisé les disparitions et qui a permis la torture à des fins politiques", estime le texte de l’Elysée. 


Pour Rosa Moussaoui, journaliste à l'Humanité et spécialiste de l'Algérie, le geste d'Emmanuel Macron est historique. 


"La France regarde enfin lucidement une page sombre de son histoire. Des plaies peuvent maintenant être pansées. Il était temps… C’est historique, l’issue de 61 ans de combat, une grande émotion, un immense soulagement… Ce geste est de la même portée que la reconnaissance par Jacques Chirac, en 1995, du rôle de l’Etat dans la déportation des juifs de France".


Voir aussi : 


Elle raconte : "L'assassinat de Maurice Audin"