Volubilis, l’amour au temps de l’adversité
Après six ans d’absence, le réalisateur marocain Faouzi Bensaïdi fait son grand retour avec un drame social aux contours joliment mélodramatiques
Lui est vigile, elle femme de ménage. Abdelkader et Malika s’aiment, mais, bien que mariés, ils se contentent de se retrouver chez l’un ou l’autre de leurs parents, faute de disposer de leur propre toit. Car, dans une grande ville comme Meknès, leurs emplois précaires ne leur permettent pas encore de passer ce cap. Et la situation se complique encore lorsqu’Abdelkader, qui prend ses fonctions un peu trop à cœur, se retrouve licencié sans ménagement…
Entre ruines antiques et schizophrénie
Volubilis, c’est tout d’abord le nom de cette cité antique au nord de Meknès, dans laquelle le couple aime partager des moments complices. C’est aussi le nom d’une jolie fleur aux vertus psychotropes. Le titre du film laisse à penser que le récit s’imprègne de cette double référence aux ruines et à la schizophrénie, tant l’impossibilité de construire un avenir et les sentiments ambivalents des personnages font partie de leur définition. Derrière son côté ours mal léché, Abdelkader est surtout un homme à fleur de peau. Et si Malika est une jeune femme qui souhaite croquer la vie, elle n’en affiche pas moins une grande fragilité. La société de consommation dans laquelle ils évoluent leur renvoie en effet une image assez désastreuse d’eux-mêmes et surtout de leurs rôles de faire-valoir du système.
Une fable politique et populaire
Officiant dans un centre commercial pour l’un et chez une dame des beaux quartiers pour l’autre, les héros sont confrontés de plein fouet à une guerre sociale qui ne dit pas son nom. Une guerre où les nantis assoient leurs privilèges sur le désarroi des classes laborieuses. Le discours politique intrinsèque de Volubilis est clairement marqué. On ne s’attendait pas à moins de la part de Faouzi Bensaïdi, dont les œuvres précédentes (Mille mois, WWW. What a Wonderful World, Mort à vendre) faisaient déjà état de son goût pour la critique sociale.
Ici, le réalisateur passe aussi devant la caméra pour incarner un grand bourgeois au cynisme sans limites. Une scène majeure, dont la déflagration se fera ressentir bien plus tard sur le récit, témoigne de l’inhumanité du personnage. Cette mise à distance qu’opère le cinéaste en interprétant, avec jubilation, un personnage dont il fait la critique est à même de toucher un large public, habitué aux feuilletons télévisuels mélodramatiques.
En réussissant ainsi à relier ambition politique et format populaire, Faouzi Bensaïdi tisse une fable qui semble parler facilement à tout un chacun. Et en ménageant le suspense jusqu’au bout, il élabore une scène finale dont le sens multiple forme une des plus magistrales conclusions vues depuis longtemps.
VOLUBILIS
Un film franco-marocain de Faouzi Bensaïdi, avec Mouhcine Malzi et Nadia Kounda. Durée : 1 h 46.