Brésil – De la dictature à la démocratie, et de la démocratie à la dictature
Les Brésiliens décident de mettre fin au règne de 13 ans d’une gauche plus décrédibilisée que jamais par les affaires de corruption. Ils font un pas de géant en élisant Jair Bolsonaro, un président insignifiant d’extrême-droite, nostalgique de l’ordre militaro-dictatorial.
La présidente de gauche Dilma Rousseff fut destituée en 2016 pour corruption, le président de gauche Lula fut emprisonné aussi en 2018 pour corruption, que nous réserve le destin pour le nouveau président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, qui a mis fin au règne de 13 ans de gauche (Parti des Travailleurs) ? Sera-t-il épargné par l’extrémisme ou par l’ultranationalisme ? Suffit-il d’être un nostalgique de la dictature, un anti-gauche farouche, « nettoyeur », d’allure religieuse, misogyne, homophobe, ultra-libéral, raciste, grossier et sectaire pour pouvoir redresser un pays dépensier et surendetté (chute des prix des matières premières, comme le Venezuela), gangréné par la corruption, vieilli (progression des retraites), et surtout pour pouvoir rassembler un pays profondément divisé politiquement, fracturé socialement et racialement, malgré les apparences ?
Jair Bolsonaro, ancien député insignifiant à l’Assemblée nationale, qui s’est fait connaitre surtout par ses propos et attitudes outrancières, qui n’a jamais été pris au sérieux sur le plan politique, est élu sur la base de son slogan : les 3B « Bœuf, Bible et Balles » (en quelque sorte, nourrir, prier, nettoyer). Un slogan exprimant à lui seul le désarroi et le paradoxe du Brésil. Obtenant aux élections la majorité absolue à lui seul (55,1% des voix contre 44,9% pour le candidat de gauche Fernando Haddad),il est emporté par la vague populiste et extrémiste qui a envahi tant les vieilles démocraties européennes, l’Amérique de Trump que l’Amérique Latine après le règne des gauches sud-américaines dans les années 2000, et même des gauches issus de coups d’Etat militaires, comme le fut Hugo Chavez.
En revanche, le parti social libéral de Bolsonaro n’obtient que 3 postes de gouverneurs d’Etat sur 26, mais la majorité des autres gouverneurs sont ses alliés, notamment ceux du Sud-est du pays (Sao Paulo, Rio de Janeiro, Minas Gerais). D’ailleurs, ces trois Etats, outre Espirito Santo, produisent environ 60% du PIB du Brésil et sont majoritairement peuplés de Blancs, qui représentent 55% de la population générale. L’0uest du pays, zones pauvres, a voté pour le candidat de l’opposition de gauche Fernando Haddad. Ceci est d’autant plus étonnant qu’aux élections de 2018 Dilma Roussef a obtenu la majorité des postes des gouverneurs aux Etats, et notamment les régions riches de l’ouest du pays, qui ont à ce moment-là voté à gauche.
Ainsi, la victoire de Bolsonaro est le produit d’une fracture, entre le nord et le sud, mais aussi entre les plus aisés et les plus pauvres, même si le taux d’abstention est assez notable dans un pays où le vote est obligatoire et où c’est surtout la Constitution qui le dit. Plus d’un électeur sur cinq, 21,3% (21,10% en 2014) ne s’est pas déplacé pour voter. Et un des échappatoires du vote obligatoire, ce sont les dispenses qu’on peut obtenir 60 jours avant le vote auprès du tribunal régional électoral (la sanction financière est insignifiante).
La chute spectaculaire et soudaine de la quatrième démocratie du monde et de la neuvième économie mondiale atteste sans doute de la fragilité de cette démocratie qui, dans une interminable transition (un peu comme la Turquie), court d’un président élu démocratiquement à un président déchu ou condamné pour corruption, d’un président de gauche à un président d’extrême-droite et ne cesse de surfer entre le système et l’anti-système. Le Brésil est devenu un pays qui a cette particularité de mélanger la religiosité au racisme, l’ultra-libéralisme au populisme, la démocratie à l’inégalitarisme.
On est loin des prédictions de Fukuyama sur le triomphe de la démocratie libérale, puisque dans beaucoup de démocraties dans le monde, la contagion populiste semble devenir plus rapide, plus effective, plus spectaculaire que la consolidation démocratique, en Occident ou ailleurs. Une démocratisation tant souhaitée en tout cas dans les pays d’Amérique Latine quand les dictatures régnaient sans partage. La Constitution du Brésil de 1988 voulait en finir avec la dictature, même si le présidentialisme est resté de rigueur dans ces contrées. Force est de constater que le retour au passé dictatorial, à ses valeurs, à ses moyens répressifs, à ses forces militaires, inquiète aujourd’hui les brésiliens, et notamment les plus démunis d’entre eux. Dans le passé, les discours anticommunistes des militaires auteurs de coups d’Etat se faisaient au nom de la démocratie, le discours bolsonariste relève, lui, franchement de la « légitimité » dictatoriale. Ce qui est plus nocif.
La plupart des mesures envisagées par le nouveau président se situent dans le contexte autoritaire : élargissement de l’autorisation du port d’armes pour « nettoyer » le pays (notamment pour les agriculteurs isolés dans les campagnes), l’abaissement de la majorité pénale, suppression des aménagements de peine, amnistier les crimes des policiers, fin de l’enseignement de l’idéologie de gauche dans les écoles, classification du Mouvement des sans-terre comme « terroristes », réforme des retraites. Ces mesures, il est vrai, doivent être présentées par des projets de loi ou des réformes constitutionnelles. Bolsonaro a alors besoin pour faire passer ces projets de la majorité simple des députés pour les lois, de la majorité des 3/5e pour la Constitution. Or, le parti social libéral de Bolsonaro aura à faire à une forte opposition du Parti des Travailleurs. Le leader de gauche Fernando a obtenu 44,9% des voix, ce qui n’est pas peu dans un système pluraliste. Même si ce dernier parti a perdu sa popularité à la suite de la succession d’affaires de corruption dans lesquelles étaient impliqués ses dirigeants, notamment les deux précédents présidents de la République. Le nouveau président n’a alors d’autre choix que de chercher des alliés au sein des petits partis. Or, l’homme n’est porté ni à la diplomatie, ni à la négociation, ni au compromis. C’est une sorte de « Trump tropical », beaucoup plus instinctif et intempestif que mûr et réfléchi, adepte des idées primaires et radicales.
Au Brésil, tout comme beaucoup de pays d’Amérique Latine, l’ancien régime militaire est toujours présent au-devant ou à l’arrière-plan. Bolsonaro s’est d’ailleurs entouré de généraux, qui l’ont incité à axer son discours sur la sécurité, l’ordre et les valeurs familiales. Si la démocratie conduit pour ces officiers militaires et leurs partisans nostalgiques de la dictature à la propagation de la gauche, à l’anarchie, aux contestations spontanées, à l’insécurité et à la corruption, l’ordre dictatorial formalisé par la Bible acquiert plus de légitimité dans le gouvernement du pays. L’équation est simple, il suffit de lancer les réformes de privatisation, des retraites, de réduire les dépenses de l’Etat, de libéraliser les armes et l’autodéfense, pour régler d’une baguette magique un pays aussi vaste, aussi contradictoire, aussi riche et aussi pauvre, aussi fracturé que le Brésil. Et on priera Dieu pour qu’il nous aide à la tâche.
L’extrémisme est toujours simpliste, c’est ce qui fait sa force.