Affaire Mehdi Meklat : Dans un monde normal…
Mehdi Meklat, l’ancien chroniqueur du Bondy Blog et de France Inter, dont la carrière a été stoppée début 2017 après la découverte de tweets haineux, a sorti chez Grasset le 21 novembre dernier « Autopsie», un livre pour prendre le temps de donner sa version des faits.
Dans un monde normal, on aurait pardonné à un môme de 19 ans, même s'il est allé très loin. On aurait pardonné parce qu'on a le droit d'être con à cet âge-là. Et parce qu’on a tous le droit à une seconde chance.
Pendant six ans, de 2010 à 2016, sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps, « son double maléfique », Mehdi Meklat a publié plus de 50 000 tweets sans jamais cacher que ce compte lui appartenait. La plupart de ses tweets étaient « drôles, bêtes et méchants », précise Mehdi Meklat. Une vingtaine d’entre eux étaient clairement homophobes, islamophobes, antisémites, négrophobes et sexistes.
Dans un monde normal, ceux qui connaissaient Mehdi Meklat dans la vraie vie l’auraient défendu, sans le dédouaner. Parce que c’est important de dire la vérité. Ils auraient dit « C’est horrible d’avoir fait ça. Bien sûr, on ne cautionnera jamais le fond de ses tweets, mais non, Mehdi n'est pas homophobe, antisémite, islamophobe, négrophobe ou sexiste. Il n’y a qu’à voir tout son travail journalistique de ces dernières années ».
Les autres, ceux qui ne le connaissent pas, on comprend qu’ils aient été meurtris, tellement certains tweets de Marcelin Deschamps étaient ignobles.
Dans un monde normal, avec des journalistes normaux, on aurait parlé de tous les tweets haineux, pas seulement ceux insultant les Juifs et les Homosexuels. D’autres étaient dirigés contre les Musulmans, les Noirs, les Asiatiques les Blancs et les femmes. Dans un monde normal, toutes les indignations se valent.
Dans un monde normal, on aurait aussi attaqué les autres. Toutes celles et tous ceux qui riaient de ses conneries. Et ils étaient nombreux. A eux, on leur a rien dit. Ce sont les mêmes qui l’ont lâché.
Mehdi Meklat s'est excusé 10 000 fois. Il tient à le faire encore aujourd'hui. « J’implore à nouveau le pardon de ceux qui se sont sentis blessés par cette vingtaine de tweets que l’on a ressorti parmi 53 000 qui m’horrifient aujourd'hui. Mon compte Twitter, sous le pseudo de Marcelin Deschamps, sur lequel je les ai postés, entre l’âge de 19 et 25 ans, c’était celui d’un gamin qui écrivait des tas de trucs insignifiants ou drôles, sur toutes les communautés, dont ces quelques messages ignobles. Je ne suis pas antisémite, ni négrophobe, homophobe ou arabophobe ».
Effectivement, c’était un gamin quand il a commencé à tweeter. Ça le faisait marrer d’insulter tout le monde, de se croire tout puissant. Ses petits copains de la haute étaient au courant, ça les faisait marrer aussi. Tellement au courant que, par exemple, devant la machine à café de France Inter, la radio qui l’employait à l’époque, on le félicitait, ça veut dire qu’on l’incitait à aller plus loin. « J'ai parlé publiquement de ce compte dans tous les médias depuis 2012. Dans chaque article consacré au travail de Badrou et moi (Les Inrocks, Télérama, Le Monde), ce compte Twitter a été évoqué. Je ne l'ai jamais caché », rappelle le jeune homme de 26 ans. « Comme beaucoup de gens de ma génération, j'ai plongé dans le virtuel sans en connaître ni les codes ni les dangers. Je croyais à l'impunité sur les réseaux sociaux. Je n'avais pas compris que les mots, même sur internet étaient bien réels et que d'une certaine manière, ils pouvaient tuer », se défend-t-il.
Quand Mehdi s’est fait choper, en février 2017, alors que quelqu'un du Printemps républicain rendait public les tweets de Marcelin Deschamps, ses nouveaux amis de l’élite intellectuelle et médiatique, ont non seulement joué la surprise, mais également participé, pour certains, à son lynchage organisé. D’autres ont eu la frousse. Mehdi raconte que Mouloud Achour, un ami avec lequel il a créé la revue Téléramadan, animateur chez Clique Tv, l’aurait imploré de le dédouaner, craignant pour sa carrière télévisuelle. Il aurait même enlevé de son bureau toutes les photos où on le voyait avec Mehdi. Peut-être que Mouloud Achour avait peur de « redescendre » et de retourner d’où il vient ?
Mehdi s’est donc retrouvé seul, enfin presque. Badrou, son acolyte de toujours est resté avec lui tout le long. Comme sa nana de l’époque, malgré la violence, a encaissé les coups avec lui. Ils sont toujours ensemble. Il y a encore de l'amour et de la compassion chez certains. Mehdi Meklat a dû alors comprendre à cet instant l'importance de ne jamais se couper de sa base, de ne jamais oublier d'où l'ont vient.
En février 2017, l’affaire Meklat devient une tornade, poussant Mehdi a fuir très loin. C’est au Japon qu’il part se réfugier chez un ami. Puis, il est revenu chez lui à Saint-Ouen, dans le 93. Pour ne pas sombrer davantage et disparaître, il s’est remis à écrire. Il dit que seule la littérature peut nous sauver. « Je pense que l’écriture est plus respectueuse que le silence. En février 2017, quand l’affaire a éclaté, j’étais inaudible ». On ne sait pas si son livre, « Autopsie » paru chez Grasset en novembre, suffira à le « réhabiliter ». Nombreux se sont réjouis de son sort et ne sont pas prêts à lui pardonner. Le banlieusard Mehdi Meklat était devenu au fil du temps la coqueluche des «médias de gauche ». Sa chute a été du pain béni pour toute la droite mais aussi pour les extrémistes laïcards.
« Autopsie » n’est pas juste un livre d’excuses dédié à ceux qu’il a blessés, en premier lieu ses parents. Il dit qu'il a écrit pour comprendre ce qui lui est arrivé. C'est aussi un ouvrage pour les autres également, pour nous alerter sur les dangers des réseaux sociaux où on oublie parfois qu'on n'est pas tout seul. Sur internet, tout est public, même ce qui est privé, mais où le nombre de cliques procure en nous une telle puissance, une telle jouissance, qu'on peut être poussé à toujours aller plus loin. « Si ce texte devait dissuader ne serait-ce qu’un jeune geek de se suicider socialement, un jour, à coups de tweets, alors il n’aura pas été inutile à mes yeux », écrit Mehdi.
Dans un monde normal, on ne doit jamais pardonner à Marcelin Deschamps mais on a le droit de pardonner à Mehdi Meklat.