Taha, Aznavour : chants d’honneur pour les exilés
L’écrivain Mabrouck Rachedi raconte l’actualité. Ce mois-ci, l’auteur de “Toutes les couleurs de mon drapeau” évoque la mort récente des deux chanteurs.
Le 12 septembre et le 1er octobre 2018 sont les dates des disparitions respectives de deux grands artistes. Le premier, Rachid Taha, est né à Sig, en Algérie. Le second, Shahnourh Varinag Aznavourian, devenu Charles Aznavour, est né à Paris. L’un a été enterré en Algérie. L’autre en France. L’un a été de tous les combats, de toutes les revendications des populations issues de l’immigration. L’autre a créé une association d’aide à l’Arménie après le tremblement de terre de 1988.
L’un est resté algérien, fier de sa carte de séjour devenue le nom de son groupe. L’autre, français, a obtenu la citoyenneté arménienne sur le tard et est devenu représentant permanent de son pays d’origine à l’ONU. L’un a porté la parole de l’exil dès le début, l’autre plutôt vers la fin. L’un a repris Ya Rayah en hommage aux migrants. L’autre a ravivé la mémoire de La Bohème que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. L’un a mis des sonorités orientales à la Douce France de Charles Trenet. L’autre a chanté en plusieurs langues ses propres chansons devenues des classiques.
Deux facettes de l’immigration…
Taha, Aznavour, ce sont deux façons d’être en France qui se regardent en miroir. Aussi différents soient-ils, Aznavour, le plus arménien des Français et Taha, le plus français des Algériens, ont incarné deux facettes de l’immigration. Ce sont des exemples, parmi tant d’autres, que le génie de ce pays s’est aussi construit en dehors de ses frontières.
Faut-il le rappeler ? L’Aquarius, bateau affrété par SOS Méditerranée pour sauver les migrants en mer, est renvoyé de ports en ports, les pays européens refusant l’asile aux naufragés de la mondialisation. Faut-il le rappeler ? Le livre d’un homme qu’on a trop souvent cité, trop souvent invité dans les médias, se trouve numéro un des ventes pour dire que les prénoms à consonance étrangère sont des “insultes” (Mischa, Katia et Seda, trois des enfants d’Aznavour, doivent avoir les oreilles qui sifflent). Faut-il le rappeler ? Une enseignante de la Somme envoie à l’écrivain Akli Tadjer un mail où elle lui explique qu’“il y a eu une levée de boucliers de certains élèves, car l’auteur n’est pas français, l’histoire ne concerne pas la France et il y a du vocabulaire arabe”. Aussi, “un élève a refusé de lire pour ne pas prononcer le nom Messaoud”.
… en haut de l’affiche
Trois exemples, trois illustrations du rejet des populations issues de l’immigration : au niveau politique, médiatique et au quotidien. Les trois se nourrissent et prolifèrent au mieux dans l’indifférence, au pire dans la complaisance. Ceux qui déplorent les “dérapages” sont les mêmes qui tendent les micros à ceux qui les prononcent. Ceux qui nous rappellent notre héritage humaniste sont ceux qui refusent d’accueillir les populations en détresse.
Et pourtant, tous se recueillent pour célébrer les artistes disparus. Pendant qu’on rend hommage aux morts, on oublie leur héritage. Faut-il leur rappeler que Taha et Aznavour, l’émigré et le bohémien, deux enfants de l’immigration, ont été en haut de l’affiche de la douce France ?