Ceux qui rient jaune
Chaque mois, le directeur de la publication, Abdellatif Elazizi revient sur un évenement marquant de l'actualité. Au mois de Janvier, un regard sur le mouvement des gilets jaunes.
Qui l’aurait cru ? Sans être un remake du Printemps arabe, ni un hiver purement français, la vindicte populaire qui a embrasé l’Hexagone reste mystérieuse. Nul ne sait qui en a été l’auteur, ni quelles étaient ses intentions réelles. Tout ce que l’on retient de ce ras-le-bol généralisé, c’est que ce tsunami sociétal est l’expression d’une crise profonde, qui dépasse des revendications aussi terre à terre que l’abolition des taxes et l’augmentation du smic.
Dans ce scénario inédit, il ne manque personne à l’appel. Ni les serfs dans leur version moderne, ni les riches seigneurs qui ont troqué leur rutilant carrosse au profit de berlines capitonnées, lesquelles ne laissent pas filtrer les cris du dehors. Sans oublier les Robin des bois, forçant des péages gratuits pour les petites gens, jusqu’aux romantiques anarchistes, qui voient dans la spontanéité des jacqueries un signe que le Grand Soir est peut-être proche. On a pu aussi regretter la présence d’un certain nombre d’ouailles sensibles au discours frontiste.
Le pouvoir méprisant sanctionné
En vérité, c’est que la révolte des gilets jaunes – ces gueux qui ne mangent pas de brioche, ces rebuts de la France périphérique – est si profonde qu’il faut l’appréhender dans une perspective où la symbolique est plus forte que les revendications prosaïques. La preuve, c’est que les tentatives de politisation du mouvement, y compris dans sa récupération partisane ou syndicale, ont échoué.
A écouter la plupart des commentaires des manifestants, la même accusation de mépris de la part du pouvoir revient souvent. Ce choc du pays légal contre le pays réel, par lequel s’expriment une incompréhension et des inquiétudes réelles de sans-culottes aux gilets fluorescents, n’est pas sans rapport avec le méprisant “Casse toi pauvre con” de Nicolas Sarkozy ou encore les arrogants “pognon de dingue” et “traverser la rue pour trouver un emploi” d’Emmanuel Macron. La France périphérique est si éloignée qu’on a fini par la croire insensible aux gestes de mépris de la classe repue, qui tient le pouvoir à Paris.
Le souhait d’un regain d’idéal pourtant présent
Plus encore qu’une colère contre la flambée du carburant ou contre l’écotaxe, ce sont les regards de haut des politiques et le désintérêt des médias qui ont poussé aux soulèvements. Ce besoin de considération, cette soif de reconnaissance n’auraient pas été aussi violents si l’élite avait d’autres sentiments pour ces classes que le mépris, le déni et l’indifférence.
En réalité, les gueux partis défier le pouvoir central et dont les réactions sont autant de manifestations du malaise général soulignent à souhait et “a contrario” un regain d’idéal dans la société actuelle. A quoi sert un idéal, si ce n’est à nourrir le rêve d’un monde meilleur, plus égalitaire, un monde où l’on reprendrait le contrôle de sa vie et, surtout, où on serait jugé pour ce que l’on est et pas ce que l’on a ? Quand le monde est terne, décevant, on peut s’en inventer un autre, le broder d’espérance et de douceur de vivre, à défaut d’améliorer son existence dans l’immédiat.
Au-delà de ces extrémités champêtres, il faut faire attention aux symboles. Le jaune pourrait-il rappeler le côté positif de cette couleur qui évoque le soleil, les ors, la richesse ? Ou pourrait-on opter pour la symbolique de la trahison ? De la tromperie ? De toutes les façons, rira bien qui rira (jaune) le dernier.