Le bilan en demi-teinte du 30ème sommet arabe
Avant même l’entame du Sommet arabe à Tunis, placé en cette trentième édition sous le signe de « la volonté » et de « la solidarité », la principale crainte des observateurs résidait dans le risque de retomber dans l’orthodoxie habituelle des effets d’annonce et autres vibrantes déclarations d’intention. Force est de constater qu’au terme de la liturgie, malgré quelques highlights, l’évènement n’a pas dérogé à l’ironique tradition des nations arabes qui comme le veut le dicton « se sont accordés pour ne jamais s’entendre ».
Surprise le 31 mars, jour d’apothéose du sommet, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi est finalement arrivé vers 10h00 à Tunis, après avoir laissé planer le doute quant à sa participation au sommet. Tout sourire, il a été accueilli à l’aéroport international de Tunis-Carthage par le ministre de la défense nationale, Abdelkarim Zbidi.
Annoncée à plusieurs reprises en 2017, puis sans cesse reportée, la première visite à Tunis d’al Sissi, président honni par Ennahdha, intervient au final lors de ce Sommet arabe, ce qui est en soi un motif de satisfaction pour le président Essebsi.
Départ prématuré du prince du Qatar
Mais premier coup d’éclat hier dimanche en marge de la tenue de la réunion des chefs d’Etat, après l’absence du roi du Maroc Mohammed VI et la chaise vide de la représentation syrienne : l’émir du Qatar le Prince Tamim Ben Hamad Al Thani quitte précipitamment le Palais des congrès où a lieu le Sommet et se dirige illico vers l’aéroport, sans avoir prononcé son discours ni assisté à la suite des travaux, et encore moins donné d’explications.
Depuis, les spéculations vont bon train, d’autant que l’ambassadeur du Qatar en Tunisie, Saad Ben Naceur Hamidi, a indiqué que le prince a quitté la Tunisie sans faire connaitre sa prochaine destination. Si la délégation qatarie poursuit pour sa part sa participation aux travaux du sommet, sorte de service minimum requis, nombreuses sont les versions des internautes : l’émir a-t-il ainsi souhaité marquer sa désapprobation du traitement de faveur accordé par la présidence de la République tunisienne à l’Arabie saoudite, avec laquelle le Qatar est encore loin d’être réconcilié ? Ou bien Tamim Ben Hamad a-t-il moyennement apprécié l’appel de Béji Caïd Essebsi dans son discours destiné aux pays arabes pour « diminuer la virulence des tensions en cours » ?
Quoi qu’il en soit, ce départ avec fracas, encore entouré d’une part de mystère, a pour effet immédiat de réjouir les opposants à l’influence par ailleurs en déclin du Qatar en Tunisie, pays instigateur des révolutions arabes et dernier pays de la région où existe une franchise encore relativement bien-portante des Frères musulmans. Pour les réfractaires à cette aura qatarie, l’incident n’est en effet qu’un symptôme de la fin d’un cycle et du perceptible lobbying de l’axe saoudo-émirati qui entend peser à nouveau dans la région, comme en témoigne l’empressement des candidats tunisiens à la présidentielle de novembre prochain à faire preuve de sollicitudes de toutes sortes à l’égard du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud.
Sur le plan sécuritaire, on a peut-être évité le pire dimanche : un extrémiste connu pour son appartenance à l’Etat islamique a été arrêté par l’une des unités de police postées devant la Cité de la culture où se tenait une partie des réunions du sommet. L’individu en question serait revenu clandestinement de Libye. Il possède selon le ministère de l’Intérieur des photos où il se tient près d’un char appartenant à Daesh avec une Kalachnikov à la main.
Au chapitre des déclarations communes du sommet, les dirigeants arabes ont essentiellement fustigé dimanche la décision américaine portant reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur le Golan syrien occupé.
« Cette décision est nulle et non avenue et représente une violation flagrante de la Charte des Nations Unies et des résolutions n° 242 et 497 du Conseil de sécurité qui avait affiché explicitement sa non-reconnaissance de l’annexion du Golan syrien à Israël », ont-ils affirmé en chœur dans une déclaration contre la position américaine reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le Golan syrien occupé.
Lors des travaux de clôture du Sommet, ils ont ainsi chargé les ministres des Affaires étrangères des pays membres de la Ligue des Etats arabes d’user de toutes les voies politiques, diplomatiques et juridiques pour faire face à cette reconnaissance américaine jugée illégale et non avenue.
L’Arabie Saoudite, grande gagnante du sommet
Gratifié d’une visite d’Etat en concomitance du sommet, c’est le royaume wahhabite qui en sort avec une position renforcée. Le président Caïd Essebsi a ainsi à cette occasion salué « la position honorable de l'Arabie saoudite à l'égard de la Tunisie, avant et après l'indépendance, ainsi que sa contribution importante dans l'impulsion du développement du pays », mettant l'accent sur « le rôle crucial du Royaume d'Arabie saoudite dans le monde arabe et islamique et la place importante qui lui échoit à l'échelle internationale ».
Abstraction faite de la langue de bois diplomatique, la Tunisie a signé ce weekend une convention concernant un prêt accordé par le Fonds saoudien pour le développement destiné à la protection des villes tunisiennes contre les inondations. Une deuxième convention relative au financement des exportations saoudiennes en faveur de la Société tunisienne des industries de raffinage (STIR) a aussi été signée.
Le chef de l'Etat et le roi d'Arabie saoudite ont ensuite posé la première pierre du projet de construction et d'équipement de l'hôpital universitaire à Kairouan "Roi Salmane" et pour le lancement du projet de restauration de la Mosquée Okba Ibn Nafi, de la Médina de Kairouan et de la Mosquée Zitouna.
Suite à un refus de l’Université de la Zitouna de décerner un doctorat honorifique au roi Salmane Ben Abdelaziz, le souverain rentrera en guise de consolation avec le titre de docteur honoris causa de la civilisation arabo-islamique qui lui a été décerné par le rectorat de l’Université de Kairouan.
Seif Soudani
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