Vive le peuple !
Le directeur de la rédaction Abdellatif El Azizi du Courrier de l'Atlas revient sur les manifestations Algérien Vénézuéliens et Français dans la rue.
Les peuples ont l’âge qu’ils veulent bien se donner. Quand on a vu l’enthousiasme de ces millions d’Algériens marchant côte à côte dans une atmosphère bon enfant, ces milliers de “gilets jaunes” bravant le froid parisien ou encore ces familles vénézuéliennes ignorant les soldats en armes, ces couleurs bigarrées et ces âges incertains, c’est finalement la jeunesse de leur mouvement qui a frappé, pas celle des hommes (et des femmes) qui battaient le pavé. Au Maghreb, ce “moussem” est un baume au cœur, non seulement parce que l’Algérie nous est chère, mais surtout parce qu’on a longtemps médit de ce peuple saigné à blanc par des oligarques, avec une momie à la tête de l’Etat.
Dans nos sarcasmes revenait toujours cette vieille rengaine sur un printemps arabe qui a épargné l’Algérie, un printemps qui aurait brûlé ses bourgeons avant qu’ils n’éclosent. On a simplement oublié que l’Histoire prend son temps. Et la démocratie aussi.
La bienveillance face à un vieillard
Dans ce pays où la corruption est généralisée, organisée, tarifée, avant de perdre ses moyens, Abdelaziz Bouteflika naviguait en grand ordonnateur. Pour régenter une Algérie traumatisée par des décennies de boucheries, où on ne sait qui des terroristes ou de l’armée tuait qui, le clan Bouteflika, encouragé par une apparente léthargie de la population, aura fini par commettre l’irréparable : insulter définitivement l’avenir et avec lui, 40 millions d’Algériens, en se représentant une cinquième fois aux élections dans une farce qui fera date. La nomenklatura, dissimulée derrière le portrait du Président a mal compris la bienveillance du peuple algérien vis-à-vis de ce vieillard impotent… Elle n’a pas compris que chez les Arabes, on respecte les vieillards même quand ils radotent. Et qu’on ne dit pas de mal des morts, peu importe leur CV.
L’impatience des classes moyennes
Mea culpa, nous devons désormais éviter les anathèmes expéditifs : si Bouteflika s’est retrouvé face à des pancartes “Boutef, dehors…”, c’est qu’il l’aura bien mérité. Idem pour un Nicolas Maduro au Venezuela ou demain pour un autre dictateur africain.
Après des décennies de tyrannie, après trois générations d’un régime corrompu, après la faillite d’un système économique qui dédaigna la chute du mur de Berlin, après la malédiction des pétrodollars (comme au Venezuela), un Etat algérien à bout de souffle voit monter contre lui l’impatience des classes moyennes et de ces jeunes, qui ne voyagent qu’à travers Internet, refont le monde sur les réseaux sociaux et veulent refaire leur nation. L’ère de Bouteflika clôture, contre son gré, celle des généraux tout-puissants, qui ont mis à sac les caisses de l’Etat et bloqué l’avènement du grand Maghreb Uni, lequel reste une aspiration majeure pour les peuples de la région. Les scénarios inédits qui se déroulent aujourd’hui en Algérie, au Venezuela, en France avec les “gilets jaunes” sortis d’on ne sait où, montrent que c’est bien le peuple qui a ravi la vedette. Au grand dam des élites, ce sont des visages anonymes que des médias embarrassés se sentent désormais obligés de mettre à la une de leurs journaux.