Thot : l’école qui apprend le français aux réfugiés
Permettre aux réfugiés et demandeurs d’asile d’obtenir un diplôme de langue française pour la somme symbolique de sept euros, c’est l’engagement de l’association Thot depuis 2015. Ils sont aujourd’hui 252 à avoir obtenu le précieux sésame.
« C’est un beau projet humain qui me touche personnellement. Je suis là depuis le tout début ! », confie Mariame Camara, la directrice pédagogique de l’école Thot à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, le 20 juin. Du nom du dieu du savoir dans la mythologie égyptienne, cette association est née de l’initiative de trois femmes, Judith Aquien, Jennifer Leblond et Héloïse Nio, toutes trois impliquées bénévolement dans l’accueil des réfugiés, en 2015. À l’époque, aucun dispositif ne correspondait à la demande croissante de réfugiés, demandeurs d’asile ou dublinés désireux d’apprendre le français et d’obtenir un diplôme reconnu par l’État : le DELF[1] niveau A1 et A2 ou le DILF[2] pour les moins alphabétisés. C’est à ce besoin que le collectif a voulu répondre. « Pour sept euros symboliques, ils repartent avec l’équivalent français du TOEFL en poche », indique cette ancienne professeure de français à l’Université.
Si la structure accueille surtout de jeunes hommes dont la plupart sont âgés de 18 à 30 ans, l’ambiance des couloirs et des salles de classe de l’association, situées au sein des locaux du 6B à Saint Denis, adopte de véritables allures de vie scolaire. « Non, ce n’est pas à elle de recompter les points sur ta copie, va voir ta prof s’il y’a un problème », rappelle la directrice pédagogique à l’un des étudiants tentant de trouver complaisance auprès d’une membre de l’équipe administrative. « J’ai un peu le rôle du gendarme, je contrôle les absences et fais en sorte qu’ils s’accrochent jusqu’à la fin des sessions pour être aptes à présenter l’examen », explique-t-elle.
18 heures de cours par semaine
Des sessions intenses d’une durée de quatre mois qui comportent 10 heures de cours par semaine et 8 heures d’ateliers divers. Théâtre, chant ou encore arts plastiques : tout est fait pour permettre aux étudiants d’appliquer gestuellement et phonétiquement le contenu des cours. « Au vu de leur situation, c’est difficile pour eux de se retrouver dans un cadre scolaire, c’est pour ça que l’on ne peut pas leur proposer des cours très académiques. Le but c’est vraiment qu’ils soient acteurs de leur apprentissage », souligne Mariame Camara.
Si l’investissement des étudiants est aussi important, c’est aussi parce que leur place fait beaucoup d’envieux. Forte de son succès, l’école Thot est contrainte d’opérer une sélection à l’ouverture de chaque session de cours qui comporte 7 classes de 16 personnes. « Nous avons eu près de 900 candidatures en 48 heures pour la dernière session. Après entretien, nous privilégions les personnes situées en Ile-de-France, qui n’ont pas de diplôme du tout et qui sont le plus précaires », expose Félix Guyon, le délégué général de l’association. « Nous avons assez peu de femmes, on essaye aussi de prendre cela en considération dans notre choix », indique de son côté la directrice pédagogique.
« Les rendre opérationnels professionnellement »
En quatre ans d’existence, 252 personnes ont terminé leur formation, diplôme en poche. Mais Thot ne se limite pas à un simple apprentissage de la langue française. L’école propose également un accompagnement social, administratif et même psychologique à ses élèves, notamment à travers la présence d’une psychothérapeute une fois par semaine. « On leur permet de se faire une idée de la façon dont fonctionne le monde du travail en France, de se rendre opérationnels professionnellement par des mises en situation, de les aider à faire leurs démarches pour obtenir leurs papiers ou leurs demandes de logement », expose Mariame Camara.
Malgré quelques exceptions, les mineurs ne sont pas pris en charge par l’organisation puisque l’État français est censé leur garantir une scolarité. « Les réfugiés de moins de 18 ans doivent, en théorie, être pris en charge par l’État. Notre objectif n’est pas de pallier ses éventuels manquements », déplore Félix Guyon. La situation administrative complexe des élèves de Thot en contraint certains à abandonner la formation en cours de route, parfois en raison de leur transfert dans d’autres villes. Une problématique à laquelle l’organisation pourrait bientôt remédier puisque l’équipe a déjà pour projet de s’étendre ailleurs en France, « dans les villes où l’on répondrait à un besoin », assure la directrice pédagogique. « On envisage aussi de pouvoir toucher d’autres publics comme les populations roms ou les personnes issues de la première vague d’immigration », conclut-elle.