Maroc : Chute des valeurs

 Maroc : Chute des valeurs


Bien sûr, une femme mariée à deux hommes au Maroc, un pays musulman, cela est fort peu courant, la polygamie ne fonctionnant pas en sens inverse, mais ce que l’on retient de l’histoire rocambolesque de cette enseignante à Meknès condamnée, à une peine de prison de un an de réclusion, c’est le comportement des principaux antagonistes de cette affaire. L’enseignante avait falsifié un nombre incalculable de documents dont un certificat de virginité, pour consommer un second mariage et son premier mari, quant à lui, à partir de la prison où il purgeait une peine de un an, l'avait arnaquée en la dépossédant de 500 000 dirhams, contre son consentement à cette nouvelle union. À malin, malin et demi et ainsi la boucle est bouclée.


Au-delà du fait divers, c’est tout un aspect du comportement d’une grande majorité de citoyens qui transparaît dans cette affaire : mauvaise foi, corruption, impunité, injustice et absence du moindre scrupule. Que ce soit en politique, dans les affaires ou encore au niveau des simples relations entre individus, désormais, l'état réel de la Nation se mesure à l’aune du comportement de ses citoyens. C’est vrai que la fameuse étude publiée le 20 juin 2019 dans la revue Science et qui classait les Marocains parmi les peuples les plus malhonnêtes du monde manque de beaucoup de rigueur scientifique, mais nous savons tous que beaucoup de vérités abondent dans ce sens. Des constats que les citoyens vivent au quotidien, mais que les politiques refusent toujours de nommer. Ces jours-ci, les affaires de corruption, le gros plan sur des personnages sulfureux paradant dans une impunité scandaleuse ( les Ilyas Omari et autres Chabat ne sont que l’arbre qui cache la forêt), tout fait ressortir au grand jour l'évidence d'une nation fatiguée, sur la pente résignée du déclinisme, qui explique autant la perte de confiance dans les élites que la désertion civique.


Le fatalisme ambiant constate, dans le même temps, l'inanité des systèmes alternatifs auxquels nombre de Marocains écrasés par une épaisse fatalité venue d'un monde implacable aimaient à rêver. Les désastres d’un système judiciaire sans justice ont fini de vacciner le peuple contre ses illusions. La tartufferie des islamistes, supposés moins corrompus que les autres, a fini par enterrer le peu de crédit que l’on accordait jusqu’à présent aux élites politiques. Chacun voit sans doute que la libération de la parole sur les réseaux sociaux a au moins cette vertu de porter le fer dans la plaie. On comprend alors que beaucoup de citoyens, fatigués par la chute des valeurs ambiantes aient choisi délibérément de s’identifier à ces anti héros qui, eux rayonnent sur le podium de la malhonnêteté, recueillant honneur et argent quand ils devraient se retrouver derrière les barreaux. Il est encore curieux que, pour aborder toutes ces épreuves, l’exécutif renonce encore à toute gravité.


Socrate qui n’était pas particulièrement un prédicateur de morale pensait que seules les vertus sont vraiment libératrices. Elles aident à distinguer la valeur véritable des actions, elles sont moins des préceptes que des points de repère, qui ont pour fonction d'aider à sortir de soi, à se décentrer, et de rendre par là même possible la reconnaissance du bien, dans la vie privée et dans la vie publique. L'homme mauvais, le pervers, qui apparaît désormais comme une exception devient un simple ignorant, esclave sans le savoir de ses désirs et livré sans fin au jeu contradictoire de ses impulsions.


Dans notre métier, il nous arrive souvent d’apostropher les dirigeants et autres hommes politiques pour leur dire tout le bien que l’on pense de l’incurie de leur politique, de la corruption ambiante et de la chute des valeurs. La réponse est toujours la même et elle semble tout droit sortie de la bouche de cet empereur de la Rome antique apostrophé sur les vices de sa dictature et qui répliqua sans sourciller : « Le peuple, ces temps-ci, n'est pas meilleur que moi… »