Coronavirus : les autorités tunisiennes sont-elles dans le déni ?
Alors que l’Italie voisine a atteint 1700 cas d’infection et 34 morts, que la France annonce 130 cas, et au moment où l’Egypte (2 cas) et l’Algérie (3 cas) ont annoncé respectivement leurs premiers cas avérés, la Tunisie semblent miraculeusement épargnée par le coronavirus, du moins à en croire les autorités sanitaires du pays.
L'artiste "Sarroura libre" a consacré une vidéo satirique aux disparités entre les deux situations du coronavirus en Italie et en Tunisie
Fin février, le ministère de la Santé a tenu à rappeler qu’aucun cas suspect ou confirmé de coronavirus n’a été enregistré à ce jour en Tunisie. Le chef de la cellule de suivi du virus Corona, le Dr Naoufel Samrani, a ainsi démenti l’information selon laquelle un citoyen tunisien de Ksar Hellal (gouvernorat de Monastir), de retour d’Italie, avait été mis en quarantaine dans l’hôpital Charles Nicolle à Tunis, soulignant qu’il n’existe aucune quarantaine dans l’hôpital en question.
La même source a déclaré que toutes les analyses effectuées au cours des dernières 24 heures sont négatives, assurant qu’en cas de test positif, le ministère de la Santé n’hésiterait pas à en informer l’opinion publique. Malgré ces dénégations, pas un jour ne passe sans que la psychose ne grandisse, apportant son lot de rumeurs, comme à Ariana et à Sousse où de fausses alertes ont été signalées.
Fraîchement investi pour la deuxième fois ministre de la Santé, Abdellatif Mekki (Ennahdha) est accueilli par un début de crise de confiance où le scepticisme et les interrogations des médias locaux et des citoyens se multiplient. Imperturbable, l’homme martèle que « le plan de prévention est jusqu’ici efficace à 100% » et qu’il ne sert à rien de se précipiter sur les masques de protection déjà en pénurie dans les pharmacies.
Difficile à croire ? Est-ce le règne persistant de la culture du déni héritée de l’ancien régime, au nom du « circulez il n’y a rien à voir ! », et de la préservation du secteur touristique à tout prix. C’est en tout cas ce que pense le politologue Youssef Cherif : « Les autorités tunisiennes ne devraient pas se focaliser sur le fait que la Tunisie ne présente aucun cas d’infection au coronavirus et que nous tirons notre épingle du jeu par rapport aux pays qui nous entourent. […] Car au premier cas annoncé, il y aura panique à bord. Au lieu de cela, il serait préférable que le message se focalise sur les méthodes de prévention et que l’on relativise la gravité de ce virus en le comparant à d’autres bien plus meurtriers, de sorte de réduire la paranoïa populaire ».
Batterie de mesures
Avant d’assurer la passation vendredi dernier, l’ancienne ministre de la Santé par intérim avait tenu le même discours rassurant que son successeur. Ainsi le 25 février, Sonia Becheikh avait déclaré que les services du ministère suivent de près 600 cas de passagers revenant de destinations à risque, en effectuant les analyses nécessaires, et que 300 d’entre eux n’étaient plus sur la liste de quarantaine.
Le même jour, on apprenait que le système de contrôle comprenait tous les postes frontaliers, terrestres et maritimes, y compris les ports de plaisance. Becheikh a aussi confirmé que des salles d’isolement ont également été aménagées dans plusieurs hôpitaux de la capitale, conformément aux normes de l’OMS, en plus d’un numéro (le 150) pour signaler d’éventuels cas suspects.
Une explication scientifique au 0 cas ?
Interrogé sur le mystère de l’absence de cas enregistrés dans la plupart des pays d’Afrique, le spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, Pierre-Marie Girard, également directeur des Affaires internationales à l’Institut Pasteur, avance plusieurs hypothèses, dont celle de l’insuffisance des tests, mais reconnaît que « de façon globale, on ne comprend pas pourquoi il n’y a pas plus de cas en Afrique ».
« Les rares cas plus apparus très tardivement par rapport au début de l’épidémie. Il y a un certain nombre d’hypothèses, notamment bien sûr celle qui consiste à dire qu’il y a eu des cas et qu'il y en a encore, et qu’on est passés à côté. On pouvait dire ça il y a quelques semaines, mais le temps passant, cela devient de plus en plus étrange que les cas n’apparaissent pas de façon plus évidente.
D’autres hypothèses ont été évoquées. Premièrement, que peu de personnes infectées seraient venues en terre africaine. Mais cette première hypothèse paraît peu probable, sachant qu’on estime qu’un million de Chinois vivent en Afrique ou font des allers-retours réguliers entre la Chine et le continent, et vu les mouvements de population qu’il y a eu avec la fête du Nouvel An chinois début février.
Une deuxième hypothèse consiste à dire que le climat, les températures tropicales ne seraient pas propices à la virulence du virus. Là aussi, c’est peu probable parce qu’in vitro, le virus se multiplie très bien dans la chaleur.
Enfin, troisième hypothèse : l'idée d'une forme de résistance à un profil génétique qui expliquerait que les personnes vivant en Afrique soient moins sensibles à l’infection. Là aussi, on ne voit pas très bien pourquoi. On peut aussi imaginer aussi qu'il n'y ait que très peu de formes graves ou des formes asymptomatiques. Dans ce cas-là, le dépistage n'étant pas systématique, on pourrait passer à côté de l'épidémie pendant longtemps ».
Certains témoignages en provenance de l’Aéroport Tunis-Carthage nous ont rapporté quant à eux des occurrences de « fiches de renseignements sanitaires déjà remplies par erreur », remises aux voyageurs à leur arrivée, ce qui contribue à alimenter le doute sur le sérieux des méthodes de testing en Tunisie.
En attendant, les réseaux sociaux préfèrent en rire, en concevant la carte ci-dessous, où la Tunisie serait « protégée par les saints des mausolées locaux », dont la fameux Sidi Mehrez, qui aurait érigé une muraille de protection imaginaire. Inchallah !