2024, année électorale mondiale
L’année 2024 sera une année cruciale pour la moitié de l’humanité, appelée à élire ses représentants et à définir son destin, en Algérie et en Tunisie aussi. Ces élections ont-elles le même sens pour tous ?
L’année 2024 sera une année « électoralissime » dans le monde. Près de deux milliards d’électeurs, soit plus de la moitié de la population mondiale, seront appelés à voter dans leurs pays respectifs, notamment en Grande Bretagne, en Russie, en Inde, aux Etats-Unis, dans l’Union européenne, en Indonésie, Bangladesh, au Venezuela, en Ukraine (qui va être reportée en raison de la guerre), en Algérie, au Sénégal (un des pays les plus ouverts en Afrique), en Tunisie, à Taïwan, et bien d’autres. Mais on le sait fort bien, élection n’est pas démocratie. Beaucoup de ces scrutins seront dépourvus de sincérité, de transparence, de liberté, ou livrés au procédé plébiscitaire, notamment dans les démocraties illibérales et dans les régimes autoritaires. Beaucoup d’autres qui auront lieu dans les démocraties consolidées, Etats-Unis, Union européenne, seront menacés par la montée des populistes, des extrémistes de droite, dont la discrimination et le racisme sont désormais les seules valeurs non- fondamentales les plus affichées.
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Intéressons-nous à notre contrée. Les régimes autoritaires ou semi-autoritaires arabes, ont beau organiser des élections dites plurielles à répétition depuis leur indépendance, ils n’ont toujours pas la culture du suffrage universel, ni du côté des gouvernants, passés maîtres dans le détournement du droit de vote, ni du côté des populations passives, qui se lassent vite des agitations populaires (Algérie) ou de la fébrilité démocratique (Tunisie). Pour sa sécurité, somme toute artificielle, le peuple préfère abdiquer l’universalité du suffrage en faveur de la particularité d’un homme au pouvoir, souvent au leadership vacillant. On est plutôt enclin à la sérénité politique, en dépit des quelques secousses historiques qui peuvent traverser les nations. On accepte que les jeux soient faits à l’avance, que personne n’ait voix au chapitre, et qu’un Haut Magistrat supposé sage et conservateur veille dans les cieux. Les Algériens disaient tous lors de leur fameux mouvement Hirak, qui a eu la sympathie du monde, qu’il n’y a plus de retour en arrière, parce que le peuple en a décidé ainsi ; les Tunisiens ont scandé, non sans fierté, lors de leur révolution, leur fameux « Game over », « plus jamais la dictature ». Ils n’en ont pas moins rebroussé chemin, sans qu’il y ait la moindre différence entre l’Ancien régime dictatorial et le nouveau régime post-transition. Les vieux réflexes et les « vieux démons » finissent par surgir lorsque le sens de la liberté n’a pas assez mûri. Que vaut le suffrage universel dans un pays, comme la Tunisie, où le peuple ne semble pas concerné par les affaires de la Cité, c’est-à-dire par la citoyenneté, où pour parler comme Gabriel Almond et Sidney Verba (The Civic Culture, Political Attitudes and Democracy in Five Nations,1963), la « culture de sujétion » et la « culture paroissiale » (locale) l’emportent nettement encore sur la « culture de participation », seule nourricière de la démocratie. Comme l’attestent les abstentions aux élections organisées depuis 2011, et plus gravement encore les abstentions historiques de l’ère Saïed, et comme l’expliquent encore le niveau d’analphabétisme (près de 2 millions), de pauvreté (4 millions) de la population, et l’indifférence ou la lassitude générale à l’endroit des dictatures de droit comme de fait ? Que vaut encore le suffrage universel dans un pays, comme l’Algérie, où l’armée a toujours, en vertu de sa seule force militaire, la mainmise sur le choix du président, sur le processus électoral et sur l’économie de rente ?
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De fait, l’Algérie, régime autoritaire de type militaire, s’apprête à organiser « sans suspense » des élections présidentielles en décembre 2024. Abdelmajid Tebboune n’a pas encore présenté sa candidature pour un second mandat, mais déjà une députée au nom de l’ « Association des condamnés à mort » durant l’indépendance (un signe sans doute révélateur), lui a demandé en fin décembre dernier de se présenter, lors d’un discours devant le parlement, en laissant entendre lui-même qu’il y est favorable. Reproduisant le scénario d’il y a quelques semaines en Russie, où on a vu un officier militaire demander à Poutine lors d’une cérémonie médiatisée de se représenter pour la énième fois en 2024. « Merci pour votre confiance, lui a répondu Tebboune, nous laisserons le peuple décider ». Tout comme a répondu presque Poutine. Ils sont de la même veine. Réponse démocratique sans doute, même si le Hirak populaire est réduit en miettes, et si la répression des libertés (des partis, militants et journalistes) n’a jamais décliné. Plusieurs partis proches du pouvoir s’affairent au nom de « l’unification » pour faire bloc derrière Tebboune. Les pouvoirs arabes n’ont aucune difficulté à trouver des partis satellites à leur solde pendant comme après les élections. Plusieurs partis et mouvements algériens ont scellé un accord pour « promouvoir la cohésion et assurer l’avenir ». On appelle cela « la méthode Boutef » en Algérie. Les 29 signataires, qui se permettent le luxe de reproduire la langue de bois du pouvoir, voudraient « renforcer la cohésion nationale, renforcer le front intérieur, et faire face aux menaces et aux risques qui pèsent sur la sécurité, les institutions et l’unité de l’Algérie ». Même si on ne sait toujours pas si c’est l’Algérie qui menace les autres ou si ce sont les autres qui menacent l’Algérie.
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En Tunisie, le président Saïed n’a pas tout à fait ce problème d’allégeance des partis. Il prépare sa campagne de réélection de fin 2024 à coup d’emprisonnement de ses adversaires potentiels, à la recherche d’un paysage totalement stérile. Plusieurs dirigeants de partis sont neutralisés en prison, meilleur moyen pour paralyser les partis eux-mêmes. Tout le monde est mis dans le même registre, au nom du « peuple » : dirigeants du parti de l’ancien régime, comme ceux des partis démocrates laïcs et du parti islamiste. Seul un ou deux partis nationalistes ont solennellement proclamé leur allégeance à la confiscation des pouvoirs, contre laquelle ils ont combattu dans un passé récent. Le président Saïed a été élu grâce aux votes islamistes en 2019 au premier tour et grâce à un concurrent sur mesure pour un chasseur de corruption au second tour. Il faut souligner que le suffrage universel n’est pas une réponse dans cette culture autoritaire, mais toujours une menace, notamment lorsque la légitimité du pouvoir est usurpée. Le contenu du suffrage universel ne signifie pas autre chose que ce qu’aura décidé le constitutionnaliste en chef, après la mise à l’écart des mécréants de l’Etat, des corrompus, des riches et des islamistes, et après la purification de l’Administration. « Je ne confierai pas l’Etat, après moi, à des non-patriotes loyaux ». Voilà le véritable suffrage « universel » re-parfumé au goût du jour. Dans l’ordre hiérarchique, la purification universelle prime le suffrage universel, comme dans l’ordre politico-moral, l’autoritarisme moral prime la démocratie insalubre.
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