10 ans après : un deuxième souffle pour le printemps arabe ?

 10 ans après : un deuxième souffle pour le printemps arabe ?

10 ans après le Printemps arabe, la jeunesse de plusieurs pays semble vouloir reprendre le flambeau de la contestation. Rached Cherif/LCDA

À quelques jours du 10e anniversaire du déclenchement du Printemps arabe, la plupart des espoirs de l’époque semblent s’être évanouis. Mais, plusieurs soulèvements populaires en 2019 et 2020, notamment en Algérie, montrent qu’une nouvelle génération pourrait reprendre le flambeau.

 

La Tunisie, où le Printemps arabe a débuté en décembre 2010, est au bord de l’implosion. Des finances publiques aux abois et une crise sanitaire qui s’éternise placent les autorités dans une situation intenable. Plusieurs foyers de contestation se sont ravivés ces derniers mois, alors que le gouvernement du Premier ministre Hichem Mechichi paraît dépassé par les événements.

Les importantes manifestations de l’hiver 2016 avaient été une alerte sérieuse quant à la grande précarité dans plusieurs régions du sud et de l’ouest du pays. Quatre ans plus tard, rien n’a vraiment changé, et l’épidémie de covid-19 a accéléré la paupérisation de franges entières de la population. Résultat : les chômeurs de Tataouine, Gafsa, Kairouan, Gabès et d’autres villes sont de nouveau dans la rue. Avec encore moins de marges de manœuvre politiques et financières, le gouvernement dispose de peu de cartes à jouer pour gérer une situation explosive.

 

L’Algérie, le parent malade du Maghreb

En Algérie, la nouvelle vague de contestation a commencé bien avant la pandémie actuelle. Si des manifestations avaient éclaté en janvier 2011 contre la cherté de la vie, le traumatisme d’une sanglante guerre civile (1992-2002) était encore trop présent. La crainte d’une nouvelle descente aux enfers avait été un puissant inhibant. À l’époque, le pouvoir dispose en outre d’une rente financière, tirée de l’or noir pour acheter la paix sociale à coup de subventions et baisses de taxes sur les produits alimentaires.

En février 2019, la situation paraît bien différente. Le ras-le-bol est à son comble, et avec la chute des cours du brut, les caisses sont vides. Quant à Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis deux décennies, il est octogénaire et aphasique depuis un AVC en 2013. Sa volonté d’être candidat pour un cinquième mandat est l’humiliation de trop pour une population qui se croyait résignée.

Le 22 février est le théâtre de premières manifestations massives, qui s’étendent rapidement à tout le pays. Le « Hirak » (mouvement) est né et aboutira à la démission de l’autocrate en avril. Le départ du « clan Bouteflika » provoque l’euphorie des manifestants. Mais, c’est l’ensemble du système qui cadenasse le pouvoir depuis l’indépendance en 1962 qu’ils veulent abattre. Les manifestations hebdomadaires, toujours pacifiques, se poursuivent inlassablement, entretenant le bras de fer avec l’armée, qui ne lâche pas prise.

L’élection présidentielle organisée à la fin de l’année est largement décriée, tout comme le président fraîchement élu, Abdelmadjid Tebboune. Il a fallu l’émergence de la pandémie de Covid-19 pour venir à bout de la mobilisation de rue en mars 2020. Les autorités en profitent alors pour augmenter la répression en faisant emprisonner des journalistes et des leaders de la contestation. Mais en dépit de la répression judiciaire, l’esprit du Hirak flotte toujours dans les rues d’Alger et en Kabylie.

 

Irak, Soudan, Liban : la deuxième vague du Printemps arabe

Au-delà du Maghreb, l’esprit du Printemps arabe paraît se manifester au Soudan, au Liban et en Irak. Quatre pays qui n’avaient pas été touchés en 2001, mais qui ont été le théâtre de puissants mouvements de contestation en 2019. Comme un goût de déjà vu, les manifestants scandaient des slogans qui ont fait écho à ceux de la première génération. Cette nouvelle « vague (…) a démontré que le Printemps arabe n’était pas mort », dit à l’AFP Asef Bayat, expert des révolutions dans le monde arabe.

« Thawra » (« révolution »), « Le peuple veut la chute du régime »… Après la Tunisie, l’Égypte, la Syrie, la Libye ou le Yémen, les places d’Alger, de Khartoum, de Beyrouth ou de Bagdad ont connu les mêmes cris de ralliement, fustigeant une répartition inégale des richesses et la corruption de pouvoirs autoritaires. « 2011 a accouché de 2019, et 2019 entraînera une autre vague de manifestations », prédit Arshin Adib-Moghaddam, de l’université londonienne SOAS, School of Oriental and African Studies.

En octobre 2019, des manifestations secouent tout l’Irak pour réclamer un changement de régime. Elles forcent le gouvernement d’Adel Abdel Mahdi à démissionner. Mais, après des mois de mobilisation massive, le mouvement s’essouffle sous les coups de la répression sanglante (près de 600 morts chez les manifestants) et de la pandémie. Mais « les paramètres qui pourraient provoquer une nouvelle révolution sont toujours là », avertit M. Abdulkhaleq.

Au Soudan, l’effondrement économique des années 2010 alimente la colère contre Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 1989. C’est finalement le triplement du prix du pain en décembre 2018 qui a déclenché le mouvement qui pousse l’armée à démettre le dictateur. Mais, comme en Algérie, la lutte continue pour obtenir de l’armée une vraie transition démocratique. Celle-ci réprime les manifestants avant de se résoudre au compromis visant à mettre en place un régime civil.

Au Liban également, il aura fallu attendre plusieurs années pour que la contestation latente s’embrase. La taxe sur la messagerie instantanée WhatsApp a été la goutte de trop. Des semaines durant, les manifestants battent le pavé, réclamant le départ d’une classe politique jugée corrompue et incompétente. Ils sont parfois des centaines de milliers, de toutes confessions, une source de fierté dans ce pays fragmenté. Sous pression, le Premier ministre Saad Hariri démissionne. Mais, un an plus tard, les mêmes politiciens s’agrippent toujours au pouvoir.

Les maux – corruption et incompétence – fustigés par les manifestants trouvent une concrétisation dramatique dans l’explosion du 4 août au port de Beyrouth. En octobre, ce n’est autre que M. Hariri qui est de nouveau désigné pour diriger un nouveau gouvernement. Pour les militants, malgré l’essoufflement, le soulèvement n’a pourtant pas été vaincu.